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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 décembre 1851, mardi matin 8 h. ½, Bruxelles

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre distrait, bonjour, je vous aime mais je bisque de tout mon cœur de vous avoir laissé partir hier sans baigner vos yeux [1]. C’est bien la peine de me décarcasser comme je l’ai fait pour vous faire cette fameuse eau de pavots si vous n’en profitez pas. Mais quand nous serons dans nos meubles, j’espère que nous en serons pas si décousus et que nous pourrons nous reconnaître un peu sérieusement. Quant à moi, je bouts d’impatience de posséder cette petite chambre. Malheureusement, j’ai grand peur que ce ne soit pas encore pour aujourd’hui, car le lavage que je croyais fait depuis hier n’est pas encore commencé. Tu penses, mon pauvre bien-aimé, que je ne peux pas pousser plus que tu ne m’as vu le faire hier pour accélérer ce rangement que je trouve bien long. Mais aussi, une fois montée là-haut, comme je serai heureuse et comme je vivrai dans mon petit coin avec mon seul bien, ma seule pensée, ma seule occupation, et mon seul bonheur, toi, toi, toi, toi, toi, toujours toi. Jusque-là, il faut que je me résigne aux lenteurs des domestiques flamandes mais ce n’est pas sans peine, sans bisque et sans rage. Mon Victor adoré, mon bien aimé, mon petit homme, vous voyez bien que je suis heureuse et que je ne demande qu’à l’être encore davantage si vous voulez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 492-493
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 23 décembre 1851, après-midi, 1 h.

Toujours affairé, toujours pressé, toujours courant, toujours errant, mon cher petit fugitif à Bruxelles comme à Paris, souverain ou proscrit vous n’avez jamais plus de quelques minutes par jour à donner à votre pauvre Juju. Je sais que vous avez toutes sortes de bonnes raisons pour cela, c’est grand dommage que je n’en n’aie pas autant pour me résigner et pour me faire trouver le temps moins long et moins ennuyeux loin de vous. J’espérais que je pourrais m’installer aujourd’hui dans mon petit logis, mais il n’y a absolument pas moyen. On me promet que cela sera pour demain. Dieu veuille qu’il n’arrive aucun empêchement d’ici-là. Du reste, on a pu se faire restituer le fameux matelas qu’on doit carder aujourd’hui. Ainsi, mon cher petit homme, voici encore une dépense et une difficulté de sauvées. On n’est pas meilleur que tous ces braves Luthereau là. À propos de bonnes gens j’ai reçu ce matin une lettre de Mme de Montferrier qui me dit qu’elle a vu qui me remercie du tabac et des [pois grecs ?]. En même temps, elle me raconte un canard [coincé ?] par R. Lassus ce dont tu fais tous les frais, ce qui ne manque pas d’une certaine originalité au point de vue de la blague, de la vantardisea du mensonge. Enfin un canard Dumas c’est tout dire. Je compte lui répondre tout à l’heure sans relever autrement la sauce du susdit canard que par un bon éclat de rire. En attendant, tâche de venir le plus tôt que tu pourrais, mais tâche aussi de voir Yvan car je tiens beaucoup à ce que tu te soignes et à ce que tu ne boives ni ne manges rien qui puisse te faire du mal, et puis aimez-moi, mon cher petit homme, si vous voulez que je vive.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 494-495
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « vantarderie ».

Notes

[1Voir l’article de Jean-Marc Hovasse « La vue de Victor Hugo » dans L’œil de Victor Hugo, actes du colloque 19-21 septembre 2002, Musée d’Orsay / Université Paris 7, Éditions des Cendres / Musée d’Orsay, 2004, p. 3-19. L’étude de correspondance de Victor Hugo permet à l’auteur d’établir la chronologie des crises ophtalmiques dont souffre Hugo. Particulièrement aiguës avant l’exil (comme celles de 1827 ou 1831), « les crises d’aveuglement semblent disparaître de la vie de Victor Hugo à partir de la mort de Léopoldine » (ibid., p. 16.) Sur les îles anglo-normandes Victor Hugo est atteint d’« une nouvelle inflammation de l’œil à la fin de l’année 1865 » dernier épisode d’une gravité suffisante pour être signalé. « Dans les années suivantes, même si plusieurs lettres de Juliette Drouet nous apprennent qu’il venait prendre chez elle des bains d’yeux, ce sont surtout les yeux d’Adèle qui vont donner du souci à son mari […] elle mourra pratiquement aveugle » (ibid., p. 18).

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