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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 février [1838], lundi 1 h. après-midi

Bonjour, cher bien aimé, penses-tu à moi un peu au milieu de tes occupations sans nombre ? Moi je ne fais que cela, il est vrai que je n’y ai pas grand mérite car je n’ai pas autre chose dans l’esprit et dans le cœur. Il a fait bien froid cette nuit, mon cher petit homme, et vous n’aurez sans doute pris aucune précaution pour vous en garantir, petit bêtaa ? Je voudrais être sûre de la représentation de demain [1]. Je ne sais pas pourquoi je suis inquiète et tourmentée à ce sujet, il me semble que Beauvallet ne t’a pas assez promis. C’est que ce serait si fâcheux d’arrêter non pas le succès de la pièce, ce qui est impossible, mais l’argent qu’elle était si bien en trainb de donner dans nos poches, que ce serait bien fâcheux si l’interruption se prolongeait. Au reste, tu sais mieux que moi comment tu as trouvé le Beauvallet hier et ce qu’il t’a promis. Je voudrais bien voir cette représentation-là. C’est la seule distraction que je me permette depuis plus de cinq mois. Il est vrai que cette seule vaut mieux que toutes les autres, mais enfin ce n’est pas une raison pour me l’ôter. Au contraire, j’espère donc avoir demain un petit coin d’où je verrai mon Hernani, non pas celui du hideux Firminc mais celui si beau, si noble et si terrible de mon grand Toto. Jour, mon cher adoré, je vous aime. Allez ! ça vous est bien égal, mais moi je vous adore comme si c’était nécessaire à votre existence. Vous verrai-je bientôt, mon Toto ? J’ai bien besoin de vous baiser depuis la tête jusqu’aux pieds et plus encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 47-48
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « bêtat ».
b) « entrain ».
c) « Firmain ».


5 février [1838], lundi soir, 7 h.

Mon cher bien-aimé, tu as bien fait d’être loin tout à l’heure car sans cela je n’aurais jamais osé t’écrire ni te dire une parole d’amour. Je ne suis pas habituée à te voir injuste et méchant, et quand par hasard cela t’arrive, je ne sais plus où j’en suis. Tu n’as pas cet inconvénient avec moi, toi : comme je suis méchante toute l’année, tu ne t’en effrayesa pas et tu fais bien. Moi, c’est bien différent. Je crois que le tonnerre qui tomberait au milieu de ma chambre ne me causerait pas plus d’étonnement et d’effroi. Maintenant la paix est faite et bien faite, n’est-ce pas mon Toto ? Aussi je peux me livrer à tout mon bavardage de cœur sans crainte que tu te moquesb de moi ? J’ai bien froid, mon Loup, j’ai voulu achever l’opération pendant qu’il faisait jour et longtemps après qu’il faisait nuit, de sorte que j’ai un froid de chien et puis votre beau feu s’est éteint, vous une fois parti, de sorte que je suis gelée jusque dans la moelle des os. Je suis sûre, cher petit dissimulé, que vous irez ce soir chez le ministre Turluttu. Avec vos airs d’en douter, vous savez bien que vous irez. Je vous pardonne votre dissimulation si c’est par jalousie ; à votre place j’en ferais autant, ainsi ne vous gênez pas. Mais à votre place aussi, je reviendrais le plus tôt possible et c’est ce que vous ne ferez pas car vous ne m’aimez pas comme je vous aime. Et cette fois-ci, les mots ont plus de valeur que les actions. Je vous aime. Je t’aime, mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 49-50
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « effraye ».
b) « moque ».

Notes

[1Hernani est repris à la Comédie-Française les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 18, 21, 23 février.

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