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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 juin 1844

8 juin [1844], samedi matin, 9 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré. Comment vas-tu ce matin, mon cher petit ? Moi, je suis toute clopin-clopinant1 mais cela n’a rien d’étonnant. Suzanne est toujours à peu près dans le même état, elle a beaucoup transpiré cette nuit [1]. J’espère que cela lui aura fait du bien.
Mon Toto adoré, je t’aime, je pense à toi avec ravissement, je t’adore. Ma pauvre péronnelle [2] aura bien du chagrin aujourd’hui. Il faudra tâcher de m’y conduire le plus tôt que tu pourras pour la rabibocher de sa sortie perdue ; pauvre enfant, je n’aime pas à la savoir si triste. À propos de triste, c’est la fête de ce pleurnicheur de saint Médard [3] ; Dieu veuille qu’il ait envie de rire aujourd’hui. Si j’étais auprès de lui, je le chatouillerais toute la journée.
J’ai mal à la tête et au cou, je ne peux pas tourner ma tête, je suis toute blaireuse ce matin. Je pense qu’en me secouant un peu tout à l’heure ce ne sera rien. Si je te voyais, je serais guérie. En attendant, je geins et je te désire de toutes mes forces.
J’ai oublié de te dire que j’avais acheté à ma vraie pénaillons des serviettes, de la toile et une nappe pour 11 francs, un vrai bon marché. Elle viendra les toucher aujourd’hui ; je les ai mais je t’en préviens pour que tu saches à quoi passe l’argent. Et puis, je t’aime mon Toto et je te baise en pensée, en désir de l’âme et du cœur. Dépêche-toi à venir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 127-128
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette


8 juin [1844], samedi soir, 6 h. ⅟₄

Je ne t’apprendrai rien de nouveau, mon bon petit homme, en te disant que je suis triste puisque tu sais que tu m’as dit que tu ne viendrais peut-être pas ce soir. J’ai le cœur comme le temps, tout gonflé d’orage et de larmes. Je ne veux pas pleurer parce qu’Eulalie ne saurait pas ce que cela voudrait dire et je ne veux pas lui donner à penser qu’un pauvre ange comme toi me fait du chagrin. J’ai beaucoup souffert toute la journée. Ce vilain temps en est la cause. Du reste, si saint Barnabé ne nous vient pas en aide [4], en voilà pour quarante jours de pleurnicheries. Si je ne pensais pas à vous, cela me serait bien égal car pour l’usage que je fais du beau temps, je peux très bien être indifférente au mauvais ; mais j’ai pitié de votre cher petit casaquin et je ne veux pas qu’il vous pleuve sur votre pauvre bosse d’académicien ; aussi, je suis très vexée de la pluie d’aujourd’hui. Je pense à ma pauvre péronnelle [5] qui aura été mouillée tantôt si elle est allée chez son père. Pauvre chère enfant, elle aura fait comme saint Médard : elle aura pleuré tantôt. D’y penser, cela me serre le cœur : elle s’était fait une si grande joie de venir, et la voilà renvoyée pour quinze grands jours. La pauvre enfant me ressemble, elle n’a pas beaucoup de chance. Si je ne te vois pas ce soir, je ne sais pas ce que je deviendrai. En attendant, je suis bien triste et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 129-130
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Suzanne, sa domestique, est malade depuis plusieurs jours.

[2Sa fille Claire Pradier.

[3Saint Médard, réputé apporter la pluie, était fêté le 8 juin.

[4La sagesse populaire disait que le soleil revenait à la Saint-Barnabé (le 11 juin), à la pluie de la Saint-Médard (8 juin).

[5Sa fille Claire Pradier.

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