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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juin [1844], dimanche matin, 9 h. ⅟₂

Bonjour mon adoré Toto, bonjour mon ravissant, mon délicieux Toto, bonjour le plus aimé et le plus admiré des hommes, bonjour je t’aime, je t’aime, je t’aime. Depuis hier, je suis dans un accès de désespoir et de découragement que je sens sans pouvoir l’expliquer. Je t’en demande pardon, mon bien-aimé, si on peut demander pardon d’aimer trop. Quand je me compare à toi, le doute et le découragement s’emparent de moi, je souffre mille morts et je ne sais plus que devenir. Je suis dans un des ces accès-là. Seulement, et c’est assez logique, il n’a jamais été aussi fort que cette fois, je t’en demande pardon, mon adoré, pardon à genoux car, si de mon côté je n’ai jamais été moins bonne et moins aimable, du tien, il est impossible, humainement, d’être plus beau, plus doux, plus charmant et meilleur que toi. Je suis juste pour nous deux, mon bien-aimé, et c’est là précisément ce qui me fait tant souffrir. Cependant je t’aime, je t’aime à faire envie au bon Dieu lui-même, mais cela ne suffit pas. Quasimodo aussi aimait, mais il était Quasimodo. Moi, j’ai dans le caractère les difformités qu’il avait sur son corps, et puis quand je te regarde, j’ai honte de moi. J’ai honte de cette vieillesse prématurée comme si c’était ma faute. Je deviens féroce envers moi-même, je voudrais me tuer pour me punir de n’avoir pas su rester jeune et charmante pour te plaire toujours. Enfin, mon Toto, je suis la plus malheureuse des femmes et je ferais pitié à un chien tant je souffre et tant je suis découragée. C’est ce qui est cause que j’ai accueilli avec une apparente indifférence le charmant petit arrangement que tu as fait hier. J’aurais voulu paraître gaie, heureuse, mais j’avais cette tristesse qui me serrait la gorge et qui m’empêchait de dire un mot. Mais dans le fond de mon cœur, je trouve tout cela très joli, et surtout, ce qui me touche et me ravit par-dessus tout, c’est la bonté ineffable avec laquelle tu t’es prêté à ce petit arrangement et la peine que tu t’es donnéea ! Ces cadres rayonnent pour moi parce que tu y as touché, parce que ce sont tes dessins, parce que je t’aime et parce que je t’adore ; je voudrais mourir pour toi, mon Toto bien aimé. Comment va ta chère petite gorge ? La fatigue d’hier ne t’aura pas fait de mal, j’espère.

BnF, Mss, NAF 16355, f. 103-104
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « donné ».


2 juin [1844], dimanche soir, 11 h. ⅟₄

Je t’aurais écrit depuis plus d’une heure que Mme Triger et Joséphine sont parties, si je n’étais pas occupée à faire tous mes rangements, mon adoré, à cause que Suzanne est malade. Te voici, quel bonheur !!!!!

3 juin [1844], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé adoré, bonjour mon âme, bonjour mon Victor chéri. Suzanne a voulu se lever mais elle est bien languissante. Je la trouve très abattue quoiqu’elle prétende qu’elle aille mieux ; je la ferai coucher dans la journée probablement. Du reste, elle ne veut pas entendre parler de médecin, c’est déplorable ; je continue d’être assez tourmentée à son sujet. Quant à Fouyou, il est parfaitement guéri et prêt à recommencer, si j’en juge par les doux jeux qu’il faisait à un morceau de veau froid. Voilà, mon Toto chéri, l’état sanitaire de ma ménagerie. Je ne te parle pas de mes pauvres mogneaux [1] parce que je ne me sens pas encore le courage d’en rire ; plus tard, je ne dis pas. Comment va ta gorge, mon cher petit ? Il me semble que ce remède [2], loin de te soulager, entretienta cette irritation ? À ta place, j’essaieraisb de m’en passer quelques jours pour voir l’effet que cela ferait. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas confiancec dans ce remède-là.
Je t’aime, mon Toto adoré, je t’aime, mon bon petit homme chéri. Je pense à toi avec ravissement. Je ne peux, même, ne penser qu’à toi, tout le reste m’est odieux et fatiguant. Je t’attends avec impatience pour savoir comment tu vas, pour te voir et pour te caresser de l’âme, des yeux et des lèvres. Je t’adore mon grand Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 105-106
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « entretein ».
b) « j’esseirais ».
c) « de confiance ».

Notes

[1Prononciation déformée de « moineaux ».

[2À identifier.

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