21 décembre [1842], mercredi matin, 11 h. ¾
Bonjour, mon Toto bien aimé. Bonjour mon Toto chéri, comment vas-tu ce matin ? Bien, je l’espère, mon Toto adoré. C’est bien le moins parmi tant de choses qui t’occupent et te fatiguent, que tu aies la santé. Je te recommande de prendre quelques précautions contre ce vilain temps humide et de ne pas sortir sans parapluie.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de mon beau-frère qui m’annonce deux caisses pour demain et peut-être même une perruche qui, dans tous les cas m’arrivera après-demain. Cet empressement tout aimable me met, ou plutôt nous met dans l’embarras pour le moment car, outre l’argent qu’il va falloir pour le transport et pour la cage de cette nouvelle cocotte, il faudra que tu tâches d’avoir l’exemplaire de tes œuvres pour le lui envoyer le plus tôta possible. Tout cela, je le répète, arrive dans un mauvais moment [1] par un bon sentiment et tu les prendras ainsi, mon amour, sans t’impatienter et sans te contrarier, n’est-ce pas ? Je me suis aperçue trop tard que j’avais pris la feuille de papier sur lesquels vous aviez commencé à dessiner d’après nature votre cimier du marquis de Bade [2]. Ia, ia, monsire, matame, il est son arme au marquis de Bade. Je ne sais pas si mon dessinb est aussi pur que le vôtre mais il a la prétention d’être aussi significatif, il s’agit de l’ajuster sur le casque du premier marquis venu et tout le monde devinera ces armes parlantes. Tu es bien gentil, mon Toto, d’avoir défendu mon bien contre la rapacité de ce hideux Boulanger. Ce n’est fichtre pas moi qui lui donnerai un dessin de vous pour quatre de lui. Je ne lui donnerais même pas le plus petit morceau des cornes du marquis de Bade pour tous ses tableaux réunis, y compris ceux du gouvernement dans lequel figure Toto deuxième [3] dans son grand costume de… la nature. Voilà comme je suis moi et comme vous n’êtes pas, vous, ni les autres. C’est que je vous aime, moi, comme jamais personne ne vous a aimé et ne vous aimera. Taisez-vous et continuez à garder mes trésors avec fidélité et dévouement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 307-308
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « plutôt ».
b) Juliette a fait les dessins ci-dessous dans le corps de sa lettre :
- © Bibliothèque Nationale de France
21 décembre [1842], mercredi soir, 7 h. ¼
Je t’écris à l’heure de ma pendule qui avance de trois quarts d’heure [4] mon amour, ainsi que tu le sais. Je ne veux pas que vous ayez votre ravissante petite figure grippée par la tristesse, je ne le veux pas, je ne le veux pas, entendez-vous, mon adoré. Votre chère petite Didine sera la plus heureuse des femmes [5], c’est moi qui vous le dis et vous savez que je ne mensa jamais et que je sais l’avenir de tous ceux que j’aime. Ainsi, tranquillisez-vous, je vous dis que cette chère petite personne sera très heureuse. Je voudrais bien être aussi sûre de l’avenir de ma pauvre péronnelleb [6] et à ce sujet, je te demanderai avis ce soir pour lui écrire, à sa tante et à ses cousins de Brest [7] afin que les lettres soient prêtes d’avance. Mais cette pédante de maîtresse ne m’ayant pas encore répondu, je suis très embarrassée pour écrire à cette enfant. Tu me donneras un bon avis là-dessus que je suivrai à la lettre, sans calembourc comme je le fais toujours. Je ne sais pas si tu penseras à m’apporter de l’argent mais si tu l’oubliais, je ne sais pas ce que je deviendrais demain avec le courrier. Suzanne qui vient d’acheter son deuil pour sa tante, n’en a plus que très peu et je ne vois pas comment je pourrais demander crédit à la diligence. Au surplus, je m’en fiche. L’argent sera toujours le cadet de mes soucis tant que tu m’aimeras.
Vous aurez votre petit sac, mon cher bonhomme, et tout rempli d’amour que je vous prierai de vider dans cotre cœur attendri que Mlle D.D. [8] n’en saurait que faire. Je vous recommande de votre côté d’aller à la quête de tous les petits livres, de toutes les images moyen-âge que vous pourrez trouver dans les collections du bibliophile Toto [9] et de la bibliomane D.D., sans oublier le petit reliquaire que je veux voir et peut-être avoir si le cœur m’en dit. Sur ce, baisez-moi et ne tardez pas à venir, je vous en prie, je vous en prie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 309-310
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « ments ».
b) « péronelle ».
c) « calembourg ».