7 décembre [1842], mercredi matin, 11 h. ¾
Bonjour, mon cher petit homme bien-aimé, bonjour mon cher amour adoré, comment vas-tu ce matin, comment va ton mal de gorge ? Moi je vais toujours bien, à l’exception de ma nuit que j’ai passée presque sans fermer l’œil. À cinq heures du matin, je ne m’étais pas encore endormie, ce qui me donne une espère de malaise général, mais cela se dissipera dans la journée, surtout si tu viens de bonne heure. Je trouve que tu as une bonne idée, quant à l’emploi de l’argent de ce pauvre père [1]. Je suis sûre que s’il était là, il n’en voudrait pas faire un autre usage. Je tâcherai que ces choses ne me quittent plus jamais, ce sera pour moi aussi précieux et aussi sacré que tout [ce] qui me vient de toi.
J’ai envoyé chez la mère Lanvin ce matin, elle viendra demain matin et son mari viendra pour toi le soir. Je vais écrire tout à l’heure à Mme Guérard et à Ledon pour lui dire de venir samedi.
Je t’aime toi, voilà le fait. J’ai repris hier Han d’Islande [2] : n’écoutez pas mon ange en votre rêverie [3], de qui j’ai baisé lettre par lettre. Et puis la préface et puis l’autre préface, cher espiègle. Tout cela est ravissant, ce qui ne m’empêche pas d’être triste et jalouse du bel Ordener [4], hélas !!!!!a Il est vrai que je peux me rabattre sur Oglypiglapb [5] ou sur Spiagudryc [6] si mon ambition n’ose pas aller jusqu’à Han. Mais toutes ces compensations ne me consolent pas de l’amour de cet affreux Ordener pour la fille de Schumaker [7]…. C’est peut-être ce qui est cause que je n’ai pas dormi de la nuit. Taisez-vous, monstre, vous ne méritez pas l’amour que j’ai pour vous. Baisez-moi et ne vous frottez plus à d’autresd qu’à moi si vous tenez à ce qui vous reste de vie. Je vous attends, mon amour, ne me faîtes pas attendre trop longtempse. Baisez-moi et aimez-moi. Je le veux ou je dégaine mon grand couteau.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 257-258
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
b) « Oglipiglap ».
c) « Spiagudri ».
d) « d’autre ».
e) « long-temps ».
7 décembre [1842], mercredi soir, 7 h.
Vous vous en êtes allé bien auparavant l’heure, vilain monstre, tant vous trouvez de charme dans ma société ! Vous mériteriez bien que je vous rendre la pareille et que, me réglant en toute sur votre conduite, je fasse un pendant délicieux à Nathalie [8] avec Cachardy [9]. J’ai bien envie de vous envoyer un de ces jours porter mon lorgnon et ma chaise à ce jeune et ravissant SALTIMBANQUE. Voime, voime, vous n’aurez que ce que vous méritez, vilain fat. Taisez-vous. Si vous ne m’apportez pas le petit reliquaire ce soir, vous aurez affaire à moi. M. Toto (deuxième du nom) [10] peut bien, quand je lui donne une délirante Cocotte [11] et que je me décarcasse pour lui chercher ses musées des familles, me prêter son reliquaire à voir un moment. À moins que l’exemple ne l’ait perverti et qu’il ne soit comme son affreux père, un monstre de désobligeance et d’indélicatesse. Dans tous les cas où il me ferait une pareille ladrerie, il ne le portera pas dans le paradis et je lui garderai un chien de mon chat qui ne sera piqué des zannetons. Ne vous frottez pas à aller au spectacle sans moi toujours, car alors vous verriez des choses terribles et très sérieusement désagréables. Jour Toto. Jour mon cher petit o, je vous aime, qu’on vous dit. Soyez-moi bien fidèle, mon amour, et aimez-moi un peu, vous ne serez qu’un peu juste envers votre pauvre vieille [Olly ?]. Tâchez de ne pas venir tard ce soir. Je vous ai à peine vu tout à l’heure et j’ai pourtant bien faim et bien soif de vous et de vos baisers. Je t’en prie, mon adoré, viens bien vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 259-260
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette