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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16324, f. 168-169

Jeudi matin, 10 h. ¾a

Bonjour, mon cher petit Toto, comment que tu vas ce matin ? As-tu passé une bonne nuit ? Le bon Gui t’a-t-il envoyé de bons rêves comme à moi ? Sais-tu que j’ai été toute la nuit dans tes bras ? Ce n’était qu’en rêve, il est vrai, mais cela fait prendre patience pour attendre la réalité.
J’ai lub hier et ce matin ton Bug-Jargal. Comme c’est beau tout ce que tu dis ! Ta poésie y est plus touffue, plus haute et plus variée que la végétation dans les forêts vierges : comme toutes les bonnes causes y sont admirablement plaidées par toi, sans distinction de couleur ! C’est le cas de dire avec l’affreux Habibrah [1] : nègre cé blan, blanc cé nègre ! [2] Et penser que tu as fait cette merveille à seize ans ! C’est à ne pas croire, à moins de te supposer d’une nature toute divine, auquel cas je suis forcée de t’aimer plus qu’on aime ordinairement dans cette vie. Aussi, c’est ce que je fais depuis longtemps car je t’aime plus que Dieu, plus que tout au monde.
Je voudrais te voir à présent, seulement le temps de te dire : je t’aime, cela me donnerait de la respiration pour atteindre le moment où je te verrai tout à fait.
Je te garde de bons baisers, de douces caresses, et toutes mes pensées.

Juliette

Je viens d’en finir avec la blanchisseuse.
Je vais écrire à Mlle W… [3] Je voudrais que tu vinssesc pour voir la lettre et l’envoyerd de suite à la poste.

[Adresse :]
À toi mon Victor

BnF, Mss, NAF 16324, f. 168-169
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Juliette a noté « 2 » en haut de la deuxième page.
b) « lue ».
c) « viensse ».
d) « envoyée ».

Notes

[1Personnage de Bug-Jargal (deuxième version 1826). Habibrah est un nain griffe, domestique de l’oncle de Léopold d’Auverney, qui s’avèrera être le sorcier de l’armée de Jean Biassou. « Selon M. Moreau de Saint-Méry, l’homme est composé de 128 parties blanches chez les blancs, noires chez les noirs. Un griffe est le résultat de cinq combinaisons, et peut avoir depuis vingt-quatre jusqu’à trente-deux parties blanches et quatre-vingt-seize ou cent quatre noires » (CFL, t. II, n. 9 p. 587-588). Habibrah n’apparaît pas dans la version de 1818 de Bug-Jargal.

[2Juliette commet une erreur en attribuant ces paroles à Habibrah. Ces paroles sont celles du citoyen C***, prisonnier de l’armée de Jean Biassou, chapitre XXXIV : « Jamais ! reprenait le prisonnier. Ce sont les blancs que je déteste. Je suis un de vos frères. J’ai toujours dit avec vous : Nègre cé blan, blan cé nègre  ! » La note 80 du CFL précise : « Dicton populaire chez les nègres révoltés, dont voici la traduction littérale : « Les nègres sont les blancs, les blancs sont les nègres ». On rendrait mieux le sens en traduisant ainsi : Les nègres sont les maîtres, les blancs sont les esclaves. » (CFL, t. II, p. 652)

[3Mlle Watteville qui s’occupe de Claire à Saumur.

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