Guernesey, 21 mars 1859, lundi, 9 h.
Bonjour, mon bien, bien-aimé ; bonjour et que Dieu soit avec toi comme l’est et le sera mon amour jusqu’à la dernière heure de ma vie et pendant l’éternité.
Il y a aujourd’hui treize ans que ma pauvre fille a pris le lit pour ne plus le quitter [1]. Ce souvenir navranta me revient tous les ans comme une fleur douloureuse dont la date serait la racine attachée à mon cœur. Cher bien-aimé, je me cramponne à mon amour de toutes mes forces pour ne pas tomber au fond de mon deuil éternel. Je t’attends pour te sourire et pour reprendre courage à la vie comme Dieu me l’a faite en deux parts égales de ténèbres et de lumière, de désespoir et de bonheur.
Tâche de venir bientôt, mon cher bien-aimé, car j’ai un besoin ardent de te voir. Jusque là, je vais et je viens dans ma tristesse sans pouvoir en sortir. J’ai passé une assez mauvaise nuit et je souffre un peu ce matin, mais cela n’est rien. Dès que je t’aurai vu, dès que ma bouche aura touché ton front, je suis sûre que je serai guérie.
Pense à moi, mon cher adoré, plains-moi et aime-moi encore plus aujourd’hui que tous les autres jours. De mon côté, je prie, j’espère, je crois en Dieu à travers mon amour pour toi.
BnF, Mss, NAF 16380, f. 75
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « nâvrant ».