Jeudi, 8 h. 20 minutes du soir
J’adore ta jalousie quand elle me procure comme ce soir, le bonheur de te voir à des heures inaccoutuméesa. Mais celle qui consiste simplement à me suspecter sans aucun profit pour nous, celle-là, oh celle-là, je la déteste.
Tu as été un peu maussade aujourd’hui, mais tu as si bien réparé ce tort-là en venant comme tu l’as fait, que ma foi, je m’abonnerai tous les jours à te voir un petit moment injuste pour t’avoir une minute de plus sur toute la soirée. Si tu savais comme c’est vrai que je t’aime, tu n’aurais pas une seconde la pensée que je puis te tromper. Et puis si tu savais encore combien je t’aime, tu viendrais à toute heure du jour et de la nuit me surprendre dans cette préoccupationb, et tu serais toujours accueillic avec des transports de joie et d’amour. Oui, oui, je t’aime. Je ne te le dis [pas] pour te le faire croire, mais parce que c’est un besoin pour moi de te le dire à tous les instants, avec tous les mots, sur tous les tons.
Je t’aime bien plus que tu ne peux le désirer, je t’aime par-dessus toute chose.
Juliette
Vous faites, en général, un trop grand fi de mes petites lettres. Vous oubliez que dans les petits pots sont les bons donguents, dans les petits mots, les grandes amours.
[Adresse]
À mon bien-aimé
BnF, Mss, NAF 16323, f. 251-252
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]
a) « inacoutumées ».
b) « préocupation ».
c) « acceuilli ».
d) Juliette finit d’écrire sa lettre sur la page où elle a écrit l’adresse.