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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 avril 1843, vendredi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré Toto. Comment vas-tu, mon cher petit ? J’espère que voilà un temps à souhait pour les autres. Décidément je tourne le dos au bon Dieu et je finis par avoir la plus mauvaise opinion de lui et de la littérature. Il aura fort à faire pour rentrer dans mes bonnes grâces et dans mon estime ; en attendant je le méprise.
Ma pauvre péronnelle est repartie [1]. Je lui ai encore fait des leçons de morale et bien des recommandations, nous verrons ce que ça produira. Ce n’est pas une méchante fille par le cœur, tant s’en faut, mais c’est un enfant veule et médiocre qui n’approfondit rien parce que le goût du travail lui manque. Je ne devrais pas dire cela, moi, sa mère. Aussi je ne le dis qu’à toi, mon bien-aimé parce que je suis sûre de trouver autant et plus d’indulgence encore dans ton cœur que dans le mien. Cette nonchalance et cette implication me tourmentent encore davantage à cause du départ de Mlle Hureau. Je suis sérieusement inquiète sur l’avenir de cette malheureuse enfant. Je te demanderai, mon Toto, de faire acte de présence plus souvent à la pension dans l’espoir de la stimuler un peu. C’est un enfant qui a besoin de tonique moral comme d’autres en ont besoin pour le corps. Je veux essayer si ma présence plus fréquente lui donnera du cœur. Hélas ! j’en doute. Mais enfin je ne veux rien avoir à me reprocher à son sujet, la pauvre enfant.
Tu es bien heureux de ce côté-là toi mon Toto. Tu le mérites bien c’est vrai, mon pauvre amour, mais le bon Dieu devrait toujours récompenser dans les enfants et ne jamais punir dans les enfants. Enfin, il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher. Je t’aime mon Victor. Je te bénis toi et les tiens. J’espère que la pluie de cette nuit ne t’aura pas fait de mal. Je t’attends avec bien de l’impatience pour savoir comment tu vas et pour te baiser de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 49-50
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


21 avril 1843, vendredi soir, 5 h. ¾

Je t’ai à peine vu, mon cher bien-aimé, à peine as-tu fait ta petite toilette coquette que tu es reparti : je devrais me fâcher de cette coquetterie qui n’est [pas] pour moi et de cette vivacité à vous en aller. Mais vous êtes si ravissant et je vous aime tant que je ne m’en sens pas le courage. C’est bien vrai que je t’aime mon Victor bien aimé. Jamais Dieu n’a été aimé par ses saintes comme tu l’es par moi. Hors de ton amour rien n’existe pour moi. Je n’ai ni la curiosité des yeux ni celle de l’esprit pour qui et pour quoi [que] ce soita hors toi. Tu es mon univers, mon ciel, ma vie et mon âme. Je me réjouis d’avance de la pensée de t’avoir à souper demain soir. Je te recommande, mon adoré, de rester le moins longtemps que tu pourras au théâtre si tu y vas demain et de ne penser qu’à moi et de ne regarder que moi. Ce serait bien horrible si tu me trompais. Mais tu es trop au-dessus des autres hommes de toute manière et pour tout pour ne pas l’être aussi du côté du cœur. J’ai confiance en toi, mon adoré, le jour où je te perdrais, je me tuerais.
Où allais-tu si vite et si joli tout à l’heure, mon Toto ? C’est à peine si tu m’as regardéeb en tournant le coin de ma rue. C’est très méchant et très vilain. Quand je vous verrai, je vous embrasserai très fort pour vous punir. D’ici là je ronge mon refrain et je vous aime. Tâchez de me faire sortir un peu ce soir vous serez très gentil et je vous pardonnerai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 51-52
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « soi ».
b) « regardé ».

Notes

[1Juliette désigne ainsi sa fille Claire.

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