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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 octobre [1843], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour adoré. J’aurais eu grand besoin aujourd’hui du réveil-matin de Charlot. Je ne sais pas, ou plutôt je sais très bien ce qui est cause de cette paresse prolongée. Je te dirai cela dans le tuyau de l’oreille tantôt et tu verras que tu es une grosse bête de n’avoir pas profité des derniers moments. Pôlisson, vous avez bien tenu votre promesse n’est-ce pas ? Voime, voime, vous êtes gentil. Aussi soyez tranquille, je n’ai rien de plus pressé que de pas vous croire quand vous me dites quelque chose. Taisez-vous, vous n’êtes qu’un Bouthord [1]. Tout ça ne m’empêche pas de vous aimez comme un chien.
Je vous écris avec Cocotte sur mon doigt qui veut absolument manger ma plume et mes papiers. J’ai fort à faire d’éluder son bec à cette petite vorace. C’est cependant assez flatteur pour n’y pas résister. Trouver QUELQU’UN qui veut DÉVORER MES LETTRES ça n’est pas commun. Il n’y a qu’une cocotte capable de manger de dessus de sa tartine COMME UNE PERSONNE qui pense avoir ce courage-là. C’est un bien bel exemple pour vous, vilain monstre. Taisez-vous, je ne vous crois plus plus que jamais.
J’ai déjà dépensé 9 francs de charbon ce matin et demain j’aurai le blanchissage à penser, ce qui fera une fameuse brèche sur mes 31 francs. Je te dis cela mon Toto chéri pour que tu ne t’étonnes pas quand je n’aurai plus d’argent. J’économise le plus que je peux, mon cher amour, tu n’en doutes pas, je l’espère. Aussi c’est seulement pour t’indiquer, comme je le fais pour moi-même, l’emploi de l’argent.
Tâche de venir bientôt, mon Toto. C’est si triste de ne pas te voir de la journée mon adoré que tu devrais faire tout ton possible pour venir me voir une minute.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 193-194
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


10 octobre [1843], mardi soir, 5 h.

Je suis en retard avec mon travail aujourd’hui, je n’ai encore rien fait. Il est vrai que j’aurai probablement toute ma soirée car vous ne me paraissez pas disposé à venir de bonne heure. Je n’aurai donc que trop le temps de gribouiller.
À propos, mon cher petit, c’était hier le 9 et j’avais oublié de payer Suzanne. Je ne la paierai non plus aujourd’hui et pour cause. La première, c’est que ma vieille penaillon est venue et que je lui ai acheté de la flanelle croisée pour toi et 3 mouchoirs pour moi à un prix très avantageux. Je l’ai payéea en tout 7 francs 15 sous et 9 francs de charbon. Tu vois mon Toto que je ne peux pas payer les gages de Suzanne sur les 21 francs que j’avais hier dans mon tiroir ? Ça m’est égal du reste. Mon souci, c’est de savoir si je te verrai un pauvre petit brin avant mon dîner. Je me fiche du reste.
Comment vas-tu mon pauvre adoré ? As-tu bientôt fini tes rangements ? Tes gamins ont-ils été au collège ? Penses-tu à moi ? Me désires-tu ? Viendras-tu bientôt ? Voilà ce que je voudrais savoir tout de suite et que tu te garderas bien de venir me dire avant dix ou onze heures du soir. Vous mériteriez méchant homme que je ne vous aime pas comme je le fais toujours de plus en plus. Si cela était vous seriez peut-être plus empressé. Pauvre cher ange, je ne veux pas te tourmenter. Tu es occupé, tu es triste. Viens quand tu peux. Je suis trop heureuse de t’attendre. Je t’aime de toute mon âme et je voudrais mourir pour toi. Je t’adore. Je baise tes petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 191-192
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « payé ».

Notes

[1Jeu de mots avec « butor », à élucider.

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