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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juin [1842], jeudi après-midi, 1 h. ¼

Oui, mon pauvre adoré, voilà comment en pensant toujours à toi, et en ne pensant qu’à toi, j’ai cependant trouvé moyen de ne t’écrire qu’à présent. Ah ! mais voilà, c’est que les embarras et les ennuis d’un ménage ne sont pas toujours petite besogne, surtout le jour des comptes de la fin du mois, enfin les voilà bientôt terminés. Je dis bientôt parce que j’ai envoyé Suzanne chez les Lanvin pour savoir combien c’était pour le Mont-de-Piété. La voilà justement. C’est 23 F., elle en rapporte 7 F. sur 30 F. La pauvre mère Lanvin est au lit depuis le jour où elle est venue ici. Du reste je viens de finir mes additions et voici la gentillesse que j’ai découverte. 109 F. et deux liards de déficit !!! Merci, plus que ça d’anse du panier [1], excusez du peu. J’en étais là de mes exclamations lorsque je me suis souvenue qu’il y avait 100 F. de côté pour la pension de Claire. Ma foi, la joie d’avoir retrouvé ce magot et la fatigue de tous ces hideux comptes font que je ne me suis pas donné la peine d’aller à la recherche de mes 9 F., de mes sous et de mes liards, tant pis pour eux et pour vous. D’ailleurs ça n’est pas trop gagné dur un mois et je vous défie d’avoir une SERVENTRE moins rapace et plus consciencieuse.

2 h. ½.

Ah ! ça décidément, tout conspire aujourd’hui pour m’empêcher de vous écrire, mon cher amour. J’ai été interrompue à cet endroit par des cris partant de la maison à côté au premier étage : À LA GARDE, AU SECOURS, À L’ASSASSIN. En un instant la rue a été pleine de monde. C’était deux femmes qui se disputaient et qui se battaient pour un coupon d’étoffe que l’une prétendait avoir déposé chez l’autre. J’ai assisté à ce spectacle à travers ma persienne hermétiquement fermée. Voilà que cela vient de finir, Dieu merci, car c’est toujours désagréable d’avoir des [illis.] aussi ignobles autour de soi. Maintenant, mon cher adoré j’espère que je pourrai finir ma lettre sans encombres et que je pourrai t’embrasser tranquillement sans être interrompue par des hurlements hideux. Tu es sans doute à l’académie, mon amour ? Quand tu en sortiras, viens tout de suite à la maison que je te baise de toute mon âme, je vous aime mon Victor chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 195-196
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Faire danser l’anse du panier : prélever pour soi une partie de l’argent des courses au détriment de son employeur.

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