Paris, 4 mai [18]72, samedi matin, 7 h.
Bonjour, mon doux adoré, tâche de profiter du petit refroidissement de température si propice au sommeil par un fort et long pionçage ce matin. Que tu as été bon et charmant pour moi encore une fois hier soir en me donnant cette abeille dont Burty a tiré un si bon parti pour la reliure de son Napoléon le Petit et dont je ferai, moi, encore un meilleur usage, et mieux approprié au mythe qu’elle représente, en la fixant à tout jamais sur la couverture des Châtiments [1]. Merci, mon adoré, de m’avoir si galamment laissé prendre ta montre… envolée de ce manteau. Je viens de lire ta belle lettre aux rédacteurs du journal La Renaissance [2]. Quel prodigue tu fais, mon généreux homme. Tu te donnes à tout et à tous corps, cœur et âme : « Chacun en a sa part et tous t’ont entier », je cite mal [3] mais je sais bien. Je regrette que ce stupide Charroin n’ait voulu entendre à rien hier. Mais j’espère qu’il réfléchira et qu’il acceptera avec une douce et joyeuse résignation l’argent qu’on lui offre honnêtement et après examen scrupuleux de son mémoire par trop exagéré. À propos, Burty m’a demandé d’écrire un vers des Châtiments sur son livre, se rapportant le plus possible à la présence de cette chaste buveuse de rosée. Voilà ma mission remplie. Maintenant à mon tour : Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 123
Transcription de Guy Rosa