Guernesey, 8 mai [18]70, dimanche matin, 6 h. ½
Brouujour, mon cher bien-aimé, quel ciel, quel temps, quel froid, quel rack ! Tu ferais bien de te tenir clos et couvert le plus que tu pourras ce matin si tu ne veux pas avoir à compter avec ta sciatique. J’en sais quelque chose, moi, qui ai passé la nuit à jongler avec des douleurs insupportables. Tu as pu en juger un peu hier soir par l’état où je me trouvais en revenant de la promenade, pourtant bien trop courte, que nous venions de faire. Je ne suis pas beaucoup plus vaillante ce matin mais j’espère remonter sur ma bête d’ici à tantôt et pouvoir te faire une mine moins piteuse que celle d’hier. Je suis bien contente que ton foudroyant manifeste [1] ait paru et qu’il ait été si bien compris et si bien accueilli, même parmi les infirmes de la Presse, comme Le Journal des Débats [2]. C’est une saine et puissante diversion au complot naïf, autant que policier, qui occupe les bourgeois poltrons et ineptes de la France, en ce moment-ci. Je te dis tout cela comme en revenant de Pontoise [3] et parce que je t’admire et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 127
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette