Guernesey, 19 [1] déc[embre] [18]72, lundi matin, 8 h. 20 m.
Merci, mon adorable bien-aimé, de t’être montré à moi tout à l’heure ; j’osais à peine l’espérer, étant donnés ton travail de la matinée et les arias de ta petite fête. Merci, encore, et de toute mon âme attendrie et reconnaissante. Si je n’étais pas si patraque, et si je ne craignais pas, surtout, de le laisser voir et d’en ternir la joie générale, je me serais donnéa le bonheur d’assister à ta douce petite fête d’enfants aujourd’hui [2] ; mais la raison veut que je m’abstienne plutôt que de risquer de faire une triste diversion au plaisir de tous tes chers heureux, petits et grands. Je viens d’envoyer Blanche porter la belle poupée qui me paraît assez réussie ; j’espère qu’elle ne laissera rien à désirer à la petite fille qui la gagnera [3]. Hélas ! Pourquoi n’est-ce pas Petit Georges et Petite Jeanne qui soient les ordonnateurs et les dispensateurs de toutes tes bontés et de toutes les générosités que tu répands sur les pauvres petits enfants de ce pays ! Je ne peux pas penser, sans un serrement de cœur, à ce que leur absence te fait souffrir, surtout aujourd’hui où leurs places vides fait aux yeux le même trou noir que dans ton cœur et dans le mien [4]. Mon adoré, je supplie Dieu d’adoucir l’amertume de tes regrets et de faire que tu ne voies et ne sentesb aujourd’hui que le bonheur de tes pauvres petits misérables. Je baise toutes les plaies de ton âme et je te bénis.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 349
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « donnée ».
b) « sente ».