2 août 1860

Guernesey, 2 août 1860, jeudi matin, 7 h.

Bonjour, vous que j’aime. Bonjour, toi que j’adore. Bonjour. Comment va le bobo [1] ? Avez-vous bien, bien, bien dormi toute la nuit ? That is the question à laquelle j’espère que vous ferez une bonne réponse en bon français tantôt quand je vous verrai. Quant à moi, mon cher petit homme, je ne vous CACHERAI pas que j’ai passé une nuit blanche grâce à mon affreux matelas. J’espère qu’il finira par se tasser et s’égaliser à la longue sous mes pressions réitérées et enragées. Mais en attendant je jouis médiocrement de la volupté de m’étendre sur ce lit qui rappelle les douceurs de l’Inquisition. Quel lit ! Quel matelas ! Quelles bosses ! Quel rack ! Quel machin du diable ! Et dire que j’en ai encore un autre en perspective. Oh ! Que je cuis [2] heureuse mais je ne vous COUAITE pas mon bonheur à l’instar du bonhomme Lefèvre [3] : c’est assez d’un il y en aurait trop de deux. Tout cela ne m’empêche pas d’être GEAIE comme un pinson ce matin en pensant à mon petit Balthazar [4] de ce soir. Tâchez seulement de ne pas dévorer tout votre appétit au gueuleton de môssieur votre fils ce matin. Gardez-en un peu beaucoup pour moi ce soir, et surtout ne faites pas trop de MÉNAGE sous prétexte de fioritures à M^me Lucas [5]. Moi pendant ce temps-là je vous aimerai comme un pauvre chien à la niche et je tâcherai d’élucubrer quelques gribouillis EXTRA MUROS aux gens à qui j’en dois depuis trop longtemps. Ce ne sera pas amusant mais cela ne m’empêchera pas de vous aimer. Voilà ma consolation.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 202
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette