Guernesey, 8 novembre, [18]65, mercredi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher bien aimé, bonjour et amour tout plein ton grand cœur. Je suis en avance sur ton signal [1] ce matin, mais je ne crois pas que ce soit de beaucoup, à moins que tu n’aies pas dormi cette nuit, ce qui serait bien fâcheux. Quant à moi, ni la tempête, ni la pluie ne m’ont empêchée de pioncer comme un noir toute la nuit, que ceci vous serve d’exemple. Du reste, il fait un temps charmant en ce moment et j’ai du soleil plein mon lit. À propos de soleil, je crains que la lune de miel des nouveaux époux guernesiais ne commence à décroître quelque peu [2]. Élisabeth, qui comprend l’anglais, en a entendu quelque chose hier au soir à propos du gaz. « Chasseza le naturel, il revient au galop », et le naturel de M. [3] n’est rien moins que magnifique. Après cela, il y a des grâces d’état. Espérons que la pauvre petite femme les aura toutes, jusqu’y compris celle de ne pas s’apercevoir des rugosités de caractère de son mari. Je te dis cela comme remarque involontaire faiteb chez moi mais qui ne dépassera pas le seuil de ma maison. Je suis impatiente de te montrer mes Chinois et surtout de te remercier de nouveau de ta gracieuse générosité qui me comble cent millions de milliards de fois plus que le cadeau [4]. J’espère que tu trouveras que j’ai fait un bon marché en achetant ces deux panneaux de papier mais si je me suis trompée… Il restera toujours et plus que jamais le souvenir de ton galant procédé.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 169
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « chassé ».
b) « faites ».