Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Mars > 26

26 mars 1842

26 mars [1842], samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon bien aimé, bonjour mon Toto chéri, bonjour, bonjour je t’aime. Claire est revenue de la campagne mais elle n’a pas apporté des herbages : la sotte. J’ai bien envie de la renvoyer en chercher pour votre déjeuner demain. Baisez-moi, scélérat, baisez-moi et nourrissez-vous de RACINE, vous en avez dans votre buffet académique à défaut de foin ça fera toujours ventre. Dites donc, mon Toto, on dit qu’il a plu toute la nuit et qu’il pleut encore à présent. Est-ce que vous comptez passera toutes ces eaux les pieds secs avec vos petits escarpins efflanqués ? Il faudrait cependant essayer de mettre tes bottes neuves. Peut-être qu’elles ne te blesseront plus puisqu’on les a misesb en forme trois jours. Je serais tranquille si je te savais les pieds à l’abri de l’humidité [1]. Et je serais heureuse si je [illis.] que tu vas venir tout de suite et que tu m’aimes autant qu’autrefois. Je t’aime, moi, mon Toto adoré. J’ai rêvé de toi toute la nuit et ce matin je me suis réveillée en pleurant avec un affreux serrement de cœur. Je ne sais pas si ces rêves sont des avertissements que tu ne m’aimes plus, mais je sais que j’en ai des désespoirs comme si c’était la réalité. Mon Toto adoré, le jour où tu ne m’aimeras plus je serai bien vite guérie de tous mes maux. Ce n’est pas une menace que je te fais mon adoré. Je ne suis pas assez folle pour ça. D’ailleurs ça ne me serait pas une consolation que de savoir que tu restesc avec moi par crainte.
J’ai besoin de ton amour pour vivre, voilà tout. Le jour où il me manquera, tout me manquera. En attendant, je t’aime comme si j’étais bien sûre que tu m’aimes et que mon amour te plaît comme il y a neuf ans. Baise moi mon Victor bien aimé et pense à revenir bientôt auprès de ta pauvre Juju qui te désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 199-200
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « passez ».
b) « mis ».
c) « reste ». 


26 mars [1842], samedi soir, 7 h. ¼

Voilà qu’il est bien tard, mon Toto, et je ne t’ai pas encore vu de la journée, aussi je vais dîner bien tristement ; je ne peux m’habituer à rester si longtemps sans te voir. Depuis plus de neuf ans que je t’attends tous les jours et toutes les nuits, je souffre comme le premier jour dès que l’heure à laquelle j’espère te voir se passe sans toi.. Ce n’est pas de ma faute, c’est la faute de mon cœur.
J’ai nettoyéa ma maison de fond en comble aujourd’hui, depuis le haut jusqu’en bas. J’ai plié et serré votre beau paletot rouge dans mes grandes armoires en attendant qu’il vous plaise de l’emporter. Tout ce remue-ménage m’a tenueb jusqu’à la nuit, je viens seulement de me débarbouiller et de me peigner tout à l’heure. Voici Claire qui rentre de son excursion à Saint Jacques avec Mlle Hureau, depuis quatre ou cinq jours elle ne quitte pas les églises. Dieu veuille que ça lui profite. Enfin il faut l’espérer pour elle, pauvre enfant. Demain c’est encore jour de fête et de piété pour elle. Après quoi il faudra que je songe sérieusement à la remettre en pension. Aujourd’hui on m’a remis des prospectus de sa pension. Ils sont toujours à peu près les mêmes, mais la parenté de Mlle Hureau me rassure [2]. Ainsi, mon Toto, dès que tu le voudras je m’occuperai de reboucler ma péronnelle. Et moi, mon Toto, quand est-ce que vous me débouclerez ? Il est bientôt temps, j’espère, si vous ne voulez pas qu’il me pousse des champignons dans les yeux. Mais venez, venez, venez donc ou je vous tue comme un scélérat que vous êtes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 201-202
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « netoyé ».
b) « tenu ». 

Notes

[1Juliette avait pour mission de faire élargir les bottes de Hugo chez Dabat. Les chaussures sont prêtes depuis le début de la semaine mais il ne les porte toujours pas : son amante s’inquiète qu’il prenne froid aux pieds avec ses « souliers d’été ».

[2Claire, qui depuis 1836 est en pension dans un établissement de Saint-Mandé, vit actuellement chez sa mère depuis le mois de janvier et ne sera de nouveau admise dans son pensionnant qu’au mois de mai. Mlle Hureau tient l’établissement en question.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne