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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mars 1842

21 mars [1842], lundi soir, 5 h.

Je ne sais pas si tu me reconnaitrasa mon Toto, j’ai bien peur que non. Depuis tantôt je suis après ma tignasse que j’ai tignasséeb jusqu’à la rendre méconnaissable à mes propres yeux. Au reste, tu me diras ton sentiment et je m’empresserai d’y souscrire, comme toujours, car avant tout je veux te plaire et ne plaire uniquement qu’à toi. La vue d’ailleurs n’en coûte rien et un coup de peigne et un coup de brosse auront bien vite remis toute chose à sa place.
J’ai vu le Jourdain tantôt qui m’a priéec de te demander le montant de la note pour les premiers jours d’avril [1]. Si cela ne te gênait pas, je lui ai promis de t’en parler et de lui écrire pour lui donner l’époque que tu choisirais. J’ai eu aussi ma blanchisseuse qui m’a donné des nouvelles de cette pauvre mère Pierceau dont les deux enfants sont malades. Pauvre femme, je lui écrirai tantôt un mot de condoléance et de cordialité. Enfin et pour clore l’énumération, le messager de Suzanne a apporté les six couteaux que j’avais commandésd il y a trois mois, ils sont très beauxe et très fortsf et on me les garantit bons. Voilà, mon Toto, les nouvelles et les événements de la journée, y compris celui de ma coiffure qui n’est pas le moins ébouriffé ni le plus ébouriffantg.
Je vous aime mon cher bien aimé. Je t’aime mon Victor adoré. Je voudrais te voir. Je voudrais te caresser. Je voudrais te manger. Je voudrais ne faire qu’un de moi et de toi. Est-ce que tu n’es pas encore sorti, mon amour ? Il fait bien vilain et tu n’as que de pauvres petits souliers dans tes bien plus petits pieds, mais je ne crois pas que ce soit une raison pour te tenir clôt et [couvert ?], au contraire, et il est probable que tu erres depuis ce matin dans le vent et sous la pluie qui ne cesse de crever sur la bosse des Parisiens errants comme toi. Le Dabat n’a pas encore apporté tes bottes et cela me contrarie parce que je n’aime pas à te savoir les pieds humides [2]. À propos de pieds, comment vont-ils depuis hier où tu les as si bien taillés et sculptés ? C’est tout au plus s’il en sera resté assez pour te conduire vers moi. Néanmoins je vous prie de vous traîner sur vos pattes de devant plutôt que de tarder une minute de plus, je suis très, très, très, très, très, très, très pressée de vous baiser sur toutes les coutures. Jour un petit O. Bonjour tout ce que j’aime au monde. Bonjour, bonjour je suis folle de toi. Aime-moi mon Toto si tu veux que je vive et que je sois heureuse. Pour te plaire je ferai tout, même l’impossible, car je ne peux pas plus me passer de ton amour que de l’air que je respire. Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir à quel point c’est vrai mon Toto et combien ce que je te dis si mal est au-dessous de la vérité. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 183-184
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « reconnaitra ».
b) « tignassé ».
c) « prié ».
d) « commandé ».
e) « beau ».
f) « fort ».
g) « ébourriffant ». 

Notes

[1Tous les dix du mois environ, les créanciers de Juliette comme Lafabrègue, l’homme de Gérard, Mignon, etc. viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[2Juliette avait donné à Dabat, le samedi précédent, les bottes de Hugo à faire élargir. Il devait les avoir terminées pour ce jour. En attendant, son amant utilise des souliers qui ne sont pas du tout adaptés à la saison et Juliette s’inquiète qu’il prenne froid.

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