Bordeaux, 19 février [18]71, dimanche, 6 h du soir
L’influence des 13 continue à se faire sentir, mon pauvre bienaimé, dans les grandes et les petites choses, témoin ce qui vient de m’être dit par Suzanne qui désirait se débarrasser de ma personne qui décidément paraît la pierre d’achoppement de tous les ménages. D’après ce qu’on raconte, on aurait cherché et trouvé pour moi un autre logis, qu’on croit pouvoir me convenir. Ces braves gens, ne sachant comment se tirer de leur location et de ma personne, [se] donnent beaucoup de mal pour aboutir à une résignation amiable. Quant à moi, je n’ai aucun parti pris et je me résigne d’avance à celui que tu choisiras. Je suis tellement écœurée de la vie que je la donnerais pour une épingle à qui voudrait la prendre et j’y gagnerais. Quant à toi, mon pauvre adoré, tu puises ta force dans le sentiment de ton grand devoir qui n’a jamais été plus difficile, plus laborieux et plus effrayant qu’aujourd’hui. Mais moi qui ne suis plus qu’une charge pour tout le monde, j’ai le droit d’être découragée et je le suis autant qu’on peut l’être. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16392, f. 3
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette