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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 24 juillet 1858, samedi, 7 h. du m

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour. J’espère que ta nuit a été bonne et même qu’elle n’est pas encore finie pour ton sommeil. Dors, mon cher bien-aimé, reprends des forces pour pouvoir [venir me  ?] voir bientôt car sans que tu le saches, mon bien-aimé, je suis bien malheureuse loin de toi et il n’y a pas de jour ou je ne pleure de la pensée de ta souffrance et de ton absence. Rétablis-toi bien vite, mon adoré, pour que je puisse te sourire et t’aimer sans cette douloureuse préoccupationa de ton mal et de notre séparation. J’ai su qu’on avait bien fait sécher tes couvertures hier. J’avais dit à Kesler de s’en informer et d’en prévenir ta femme mais il n’a pas osé le faire dans la crainte d’être mal compris. J’espère, mon pauvre adoré que tu n’auras pas été victime de nos scrupules et qu’on aura réparé l’oubli involontaire qu’on avait fait. En attendant que je puisse envoyer savoir de tes chères nouvelles. Je baise tes beaux yeux endormis et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 165
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « préocupation ».


Guernesey, 24 juillet 1858, samedi midi

Encore un peu de courage et de patience, mon pauvre doux martyr, et ta délivrance sera complète. Le docteur vient de me l’affirmer. Je pourrai donc bientôt me réjouir de ta convalescence, sans que la poignante pensée d’un effroyable danger possible vienne se mêler à ma joie. Dans l’effusion presque délirante que m’a causé cette bonne nouvelle, j’ai baisé les mains bienfaisantes du Docteur devenues vénérables pour moi depuis qu’elles ont touché tes plaies. Le bon Docteur surpris et ému de mon émotion paraissait embarrassé et presque honteux de ma reconnaissance mais moi j’en étais toute fière et toute heureuse. Pourquoi une femme ne baiserait-elle pas la main qui sauva la vie de l’homme qu’elle adore, quanda tant d’hommes baisent les inutiles mains des femmes qui les trahissent ? Rosalie est arrivée quelques instants après le Docteur chercher ton œuf et m’a trouvée en larmes et souriante. Je lui ai expliqué pourquoi. Déjà cette fille m’a vue pleurer bien souvent, je crains qu’elle ne me prenne pour une pleurnicheuse de tempéramentb et cependant Dieu sait que la sensiblerie n’est pas mon mérite. Mais comment garder mon sang-froid pendant ta longue et dangereuse maladie car, mon bien-aimé, on peut se l’avouer maintenant, tu as couru de grands dangers pendant ces douze derniers jours. Heureusement, c’est fini. Tu es sauvé. J’en remercie Dieu à genoux et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 166
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin]

a) « quant ».
b) « tempéramment ».


Guernesey, 24 juillet 1858, samedi après-midi, 3 h.

J’ai vu ton gros infirmier Quesnard que je me prends à aimer depuis qu’il se consacre à toi avec un vrai cœur, je le crois. Il m’a confirmé tout ce que le docteur m’avait dit ce tantôt, ce qui a ajouté une sécurité de plus à ma satisfaction. Il m’a promis de revenir avant le dîner chercher ton œuf qui n’était pas encore pondu, ce qui lui donnera l’occasion de me dire comment tu as passé le reste de la journée. Rosalie est venue chercher du bouillon et m’apporter des journaux de ta part. Elle aurait voulu emporter l’œuf en même temps mais la poule était sur son nid. Du reste elle m’a dit qu’elle en avait recueilli deux dans ton poulailler pondus ce matin. Elle paraissait ne pas comprendre pourquoi tu donnais la préférence aux miens car pour elle tous les œufs se valent et même S’AVALENT. Permet-moi cette ânerie en l’honneur de ta prochaine délivrance, parce qu’elle ne sait pas que ce qui vient de moi contient mon cœur, ma vie, mon âme que je t’envoie comme un philtre pour te calmer et te guérir sous la forme stupide d’un œuf, dans un pot de bouillon ou quelques grains de raisin. Toi, tu le devines et tu te prêtes avec une grâce ineffable à cette médicamentation d’amour. Merci mon bien-aimé, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 167
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 24 juillet 1858, samedi soir, 8 h.

Je sais que tu as passé une bonne journée, mon bien-aimé, malgré le mauvais temps qu’il a fait depuis ce matin. Encore deux ou trois jours d’équilibres généraux dans le mieux, mon cher bien-aimé, et tu entreras dans la grande convalescence. Trois jours, c’est bien long pour qui souffre et peut-être encore plus long pour ceux qui attendent. Mais ce n’est pas le moment de marchander son courage et sa patience à Dieu. C’est le moment au contraire de le remercier d’avoir eu pitié de nous et c’est ce que je fais avec toute la piété et toute ta reconnaissance de mon âme. J’ai vu tantôt Mlle Allix qui m’a laissé le bulletin des colis. Nous avons calculé que tu serais tout de suite guéri et rentré dans ta vie habituelle avant l’arrivée de ces nombreux bric-à-brac et d’avance je me suis permise de ne rien demander en dehors de la table qui m’est destinée. Ainsi, mon cher petit homme, ne t’inquiète pas de mon indiscrétion traditionnelle à l’endroit des bibelots. Je serai trop heureuse de te reposséder en bonne santé pour songer à autre chose. J’espère avoir de bonnes nouvelles de toi ce soir encore. En attendant, je te souhaite une bonne nuit et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 168
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

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