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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 décembre [1840], vendredi, midi ½

Bonjour mon grand Toto, bonjour mon adoré Toto, je t’aime. Je baise tes chers petits pieds. Je suis encore dans mon lit par économie ; j’ai copiéa très chaudement et sans bois DÉLIÈ les derniers sublimes vers que tu m’as lus hier au soir. J’y ai apporté tous mes soins, toute mon attention et tout mon talent. Cela ne m’a pas empêché d’oublier un vers, d’écrire d’une façon douteuse un mot et de laisser en blanc un autre mot illisible. Mais ce que je ne peux pas laisser en blanc c’est mon admiration. J’aurais vu Dieu lui-même sur son trône, dans son paradis que je ne serais pas plus éblouie ni plus ravie que je ne le suis d’avoir entendu tes merveilleux et sublimes vers. Jamais tu n’as rien fait de plus admirablementb beau, de touchant, de fier et de terrible. Ne te moquec pas de moi, mon adoré, d’essayer à te dire dans mon croassement vulgaire l’extase où m’a plongéed ta sublime poésie. C’est beau ! beau !! beau !!! beau !!!! Depuis hier je suis dans le paroxysmee de l’admiration et de l’adoration. C’est fort heureux pour toi de n’être pas venu ce matin car je t’aurais dévoré tout vif. J’attends avec impatience les vers que je ne connais pas et que je veux copier sans retard. Et puis pour récompense tu me donneras le manuscrit que je mettrai dans mon trésor, c’est-à-dire parmi mes reliques car tout ce qui me vient de toi m’est aussi sacré que précieux. Je t’attends, mon bon petit bien-aimé, je vais déjeuner dans mon lit, toujours par économie de feu, et puis je me lèverai, je ferai ta tisanef, je me débarbouillerai et je m’habillerai. Probablement le Jourdain enverra chercher son argent aujourd’hui, dans tous les cas il n’y a pas à se tourmenter beaucoup à ce sujet.
Jour Toto, je vous adore, vous êtes mon beau et grand poète, je vous admire et je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 221-222
Transcription de Chantal Brière

a) « copier ».
b) « admirablent ».
c) « moques ».
d) « plongé ».
e) « paroxisme ».
f) « tisanne ».


11 décembre [1840], vendredi soir, 10 h. ¼

La mère Lanvin et Résisieux viennent de s’en aller, mon adoré, et moi je t’écris vite, vite comme si ma pensée pouvait te rattraper et te faire revenir plus tôta auprès de moi. Mais, mon Dieu, quelb étrange obstacle vient se jeter à travers la plus belle et la plus sublime poésie que tu aies jamais fait jaillir de ton noble et généreux cœur. Je ne peux pas me figurer que ce soit sérieusement qu’on oppose un obstacle ignoble à la publication de la plus belle merveille du génie humain. Si je le croyais tout à fait je pousserais des cris de rage et de désespoir. C’est impossible et ces misérables marchands y regarderont à deux fois avant de s’exposer à ta colère et à ton mépris. Il serait par trop affreux que la rapacité de quelques misérables empêchâtc la plus belle poésie du monde de se montrer le jour de la plus grande cérémonie du monde [1]. D’ailleurs ils gagneront encore un monceau d’argent en restant dans les limites de l’honnêteté marchande. Il n’y a pas un être sous le ciel qui ne veuille avoir à lui les vers si beaux, si touchants et si sublimes que tu viens de faire sur notre Napoléon. Plus j’y pense et moins je crois à la possibilité d’un empêchement réel à la publication de ton nouveau chef d’œuvre. Je sais bien que ce ne sera pas perdu mais la circonstance, l’opportunité, voilà ce qui sera perdu pour ne plus revenir ; toute la France et toute l’Europe attendent tes vers pour ce jour-là au moins aussi impatiemment que la châsse du noble MARTYR qui les a inspirésd. Je te dis qu’il est impossible qu’une hideuse spéculation empêche sérieusement la publication de cette merveille. Je ne le veux pas, moi, je ne le veux pas maintenant que je les connais je veux que tout l’univers les admire avec moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 223-224
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « quelle ».
c) « empêchassent ».
d) « inspiré ».

Notes

[1Hugo écrit « Le Retour de l’Empereur » pour la cérémonie du 15 décembre durant laquelle les cendres de Napoléon Ier, rapportées de l’île de Sainte-Hélène, seront déposées aux Invalides. Ce poème est publié la veille de l’événement en plaquette avant d’intégrer une petite anthologie consacrée à l’Empereur qui paraîtra à la fin de l’année chez Furne et Delloye.

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