27 juin [1840], samedi matin, 9 h. ¼
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon amour. Tu es à Saint-Prix [1] encore ce matin, mais j’espère que tu vas bientôt revenir et que tu n’y retourneras pas ce soir ? Je n’ai pas de chance à t’attendre pour être près de toi et pour ne pas dormir quand tu viendras souper. Je ne me suis couchée qu’à une heure passée. Outre l’ennui et la tristesse que cela m’a donnésa c’est encore cause que je me suis levée tard. J’ai le sang si fort à la tête que j’ai un sommeil presque léthargique. J’ai oublié de te dire que j’ai payé les bas hier à Penaillon et que pour ne pas entamer notre trésor j’ai pris 12 f. à Suzanne. J’ai mieux aimé cela que d’ébrécher les 100 f. des portraits. J’aurais craint d’ailleurs de nous porter malheur. Jour Toto, jour mon petit homme, pense à moi, aime-moi, reviens vite et ne t’en va pas de sitôt. Jamais même si cela se pouvait. Embrasse pour moi Dédé et Jules [2], les autresb sont trop au collège ou trop Mademoiselle pour me permettre cette démonstration affectueuse. Je te rendrai un million de baisersc pour un seul donné à ces deux petites créatures. Tu vois que je ne demande qu’un prétexte pour t’inonder de baisersc et d’amour ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16342, f. 237-238
Transcription de Chantal Brière
a) « donné ».
b) « autre ».
c) « baiser ».
27 juin [1840], samedi soir, 7 h.
Merci mon bon Toto, merci de ton bouquet, merci de tes tessons, merci de ton cher petit portrait. Mais surtout merci, merci, d’être revenu de la campagne [3]. Je baise tes chers petits pieds et deux millions de fois celui que j’ai blessé tantôt sans le faire exprès. Je t’aime mon amour, je t’adore mon petit homme. La petite promenade de tantôt m’a fait un bien extrême, j’aurais besoin d’en faire souvent de pareille pour la tête, pour le corps, pour le cœur et pour le bonheur. Jour Toto. Je n’ose pas faire la supposition que tu repartes ce soir à Saint-Prix, ce serait si affreux et si près d’un bonheur commencé que la seule pensée me serre le cœur. Je t’en prie n’y va pas mon adoré, ou emmène-moi avec toi, ce sera toujours autant de pris sur le temps de la séparation, le plus hideux des ennemis que je me connaisse. Je voudrais déjà être à ce soir pour ne plus craindre que tu sois parti. Quel bonheur je vais avoir ton cher petit portrait peint par le soleil [4], ce sera ravissant. Je voudrais déjà le tenir. Je t’aime, mon amour de Toto, je t’adore mon petit homme. À bientôt je l’espère.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16342, f. 239-240
Transcription de Chantal Brière