2 février [1840], dimanche soir, 5 h
C’est à l’heure de votre montre que je date cette lettre, mon amour, j’espère que la nécessité de savoir l’heure de vos innombrables rendez-vous vous fera revenir bientôt la chercher et que j’aurai le bonheur de baiser votre cher petit bec. À propos je voudrais bien que vous ayez la générosité de jeter au feu, sans la lire, la lettre d’hier matin [1]. J’étais folle vraiment et je n’ai écrit que des turpitudes sans le moindre esprit et ce serait m’obliger particulièrement que de ne pas la lire. Je recommande cela à votre générosité. Que dites-vous de mon moyen pour faire voter ces vieilles guenilles académiques hein [2] ? Quand je vous dis qu’il n’y a que cette manière d’avoir leurs voix vous ne voulez pas me croire mais moi je sais bien que j’ai raison. Baisez-moi, mon petit homme, mais vous ne serez pas académicien. Apportez-moi donc à copier, une fois mes comptes terminés je n’ai plus rien à faire. N’oubliez pas non plus une de nos culottes car vraiment je commence à ne pouvoir plus m’en passer : en ma qualité de CARLISTE je ne peux pas vivre sans culottes [3]. Baisez-moi, mon cher bijou, baisez-moi, aimez-moi et tâchez de venir très tôt. La mère Pierceau n’est pas encore venue mais comme il fait très beau je suis tranquille.
Il faudra que je te consulte sur la manière de faire venir du bois, il me semble que comme je ne m’y connais pas du tout il serait plus simple de prier un des Lanvin d’aller au chantier ! Par là je n’aurai pas la peine de sortir et j’aurai du bon bois ce qui est bien quelque chose. Qu’ena dis-tu mon petit homme ? Je vous aime mon Toto. Je vous adore mon petit homme. Vous m’avez bien tenu parole cette nuit, c’est charmant pourquoi n’est-ce pas toujours ainsi ? Baisez-moi, vieux loup, et n’allez à aucun théâtre si c’est possible. Je n’ai pas voulu bougonner hier et cependant j’en avais bien le droit car vous étiez allé à Saint-Antoine [4] sans rime ni raison puisque vos enfants peuvent y aller sans permission ni de vous ni du directeur. Mais je vous pardonne cette fois à la condition que vous n’y retournerez pas de sitôt. Baisez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16341, f. 120-121
Transcription de Chantal Brière
a) « Quand ».