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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mai 1840

24 mai [1840], dimanche matin, 10 h. ½

Je ne m’étais pas trompée hier, mon adoré, quand je te croyais parti à la campagne [1]. Je ne me trompe pas non plus en croyant que je suis la plus triste et la plus impatiente des femmes et que je hâte ton retour de tous mes vœux, de tout mon cœur et de toute mon âme. J’ai passé une nuit pareille à celle de jeudi aux vomissements près. Ce matin je suis toute malade, je crois qu’il me faudra supprimera le déjeuner à la fourchette ce que j’avais déjà été forcée de faire une fois. Et puis j’ai dans l’idée que je mourrai en 1840, c’est pas ma faute. Le bon Dieu sait ce qu’il fait, ça le regarde. Ma fille est repartie hier à la pension sans avoir dînéb parce que père Lanvin est venu la chercher quelques instants auparavant. Et puis j’ai vu la sœur de Mme Krafft et sa fille aussitôt que je t’ai eu écrit. Mon ménage sens dessus dessous, Claire et moi toutes ébouriffées, bref nous faisions agréablement ressortir la toilette de ces deux femelles. J’ai pu voir, d’après ce que me disait Mme Franque, que sa Suquetterie [2] n’était rien moins que réussie et que la merde était toujours et encore plus de la merde après avoir subi leur procédé. Du reste je lui ai réitéré tes offres de services ce dont elle m’a beaucoup remercié. J’ai envoyé Suzanne payerc le médecin et porter ton brodequin à raccommoderd ; on doit le rapporter aujourd’hui. Quant à moi je défie personne, excepté toi, de me rapporter ma [gaieté  ?] et mon bonheur absents depuis hier. J’espère que tu n’attendras pas la diligence de minuit pour revenir ? Ce serait par trop fort et par trop long. J’en ai bien plus qu’assez comme ça. Baisez-moi Toto, aimez-moi, plaignez-moi et revenez bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 163-164
Transcription de Chantal Brière

a) « suprimer ».
b) « dîner ».
c) « payé ».
d) « racommoder ».


24 mai [1840], dimanche soir, 5 h. ¾

Je souffre de ton absence, mon Toto, plus que je n’ose te le dire dans la crainte de t’ennuyer, mais c’est bien vrai que je souffre et qu’il ne tiendrait qu’à toi de me guérir à l’instant même si tu entrais là pour ne pas me quitter de la soirée. Je t’aime trop, mon cher amoureux. L’amour c’est comme la vertu : « pas trop n’en faut, l’excès en tout est un défaut. » Et aujourd’hui plus que jamais je reconnais la justesse de la SAGESSE DES NATIONS.
J’ai vu Jourdain tantôt qui venait te remercier, a-t-il dit, mais encore plus pour te faire souvenir de ta promesse imprudente de le payer dans les premiers jours de juin. Quant à moi qui ne suis pas si accessible aux désirs des créanciers, je lui ai dit que je ne croyais pas que cela se pût avant la fin de juin. Tu es libre d’user de ce moyen DILATOIRE à ta fantaisie et surtout à ton aise. J’ai vu aussi la Penaillon mais je n’ai pas osé acheter la toile sans t’en avoir encore une fois parlé.
Je suis seule comme un pauvre chien, mon Toto, je souffre de l’estomac et des entrailles ce qui est bien près du cœur qui lui-même est dans un état hideux. Tâchez d’arriver par une voiture moins retardataire que la diligence de minuit. Je ne prévois pas à mon impatience d’à présent comment je ferai pour attendre jusque là. Je t’en prie, mon amour, aies pitié de moi. Je t’aime cher, cher bijou. Tâche de venir bientôt, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 165-166
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1La famille Hugo s’installe au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

[2Jeu de mots, voir la lettre du 17 mai 1840.

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