6 novembre [1837], lundi midi ½
Bonjour, mon cher petit homme adoré. Il y a bien longtemps que je suis réveillée, mais j’ai si mal dans mon bas-ventre que je suis restée au lit le plus longtemps que j’ai pu. C’est donc aujourd’hui le grand jour [1] ! Je suis contente de le voir finir parce que tu seras débarrasséa d’une ennuyeuseb et fatigante préoccupationc. Peut-être aussi que le résultat en sera plus satisfaisant que nous ne nous attendons.
Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime de toute mon âme. Je voudrais te le prouver autant que je le sens, mais cela ne m’est guère possible dans la position bête où je suis. Un jour viendra peut-être où je pourrai tout ce que je veux. Alors ce sera très beau et très doux pour tous les deux. En attendant je t’aime de toutes mes forces et je lis les stupides réclames du Vert-Vert [2]. Celle d’hier entre autres est pommée [3], enfin…
Je voudrais que tu fusses de retour de ta cérémonie, en supposant que tu te sois décidé à y aller, ce que je ne crois pas, pour savoir comment tout s’est passé et puis pour baiser tes yeux et tes dents dont je suis amoureuse jusqu’à la folie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 21-22
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « débarassé ».
b) « ennuieuse ».
c) « préocupation ».
6 novembre [1837], lundi soir, 7 h. ¼
Cher petit Toto, je suis agacée, c’est pas ma faute. Je voudrais pour tout au monde que ce projet [4] fût jugé pour connaître à fond les doses d’intelligence et d’équité que contient un juge. J’ai pensé à toi toute la journée. C’est comme si je te disais que je t’ai aimé de toute mon âme et de toutes mes forces car ma préoccupationa habituelle c’est mon amour.
Soir pa. Vous n’avez [5] une bien jolie redingoteb et qui éclipse complètement ma modeste pelure de tous les jours. Heureusement que je suis PHILOSOPHE et que je me drape dans ma simplicité, ce qui à la longue finira par vous humilier, faraudc que vous êtes.
Soir mon To, soir mon petit o, soir mon gros to. J’ai une fameuse envie de vous….. voir.
Vous m’avez à peine donné un quart d’heured ce soir, et qui n’était même pas de MATELAS [6]. Ça n’est pas assez pour rendre une femme heureuse. Ainsi donc mon petit Toto je vous somme de venir au plus vite remplir tous vos devoirs d’amoureux envers votre amoureuse, sous peine de vous voir condamnée à des dommages et intérêts qui dépasseront de beaucoup vos forces et votre amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 23-24
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « préocupation ».
b) « redingotte ».
c) « faro ».
d) « quard-d’heure ».
e) « condamner ».