Jersey, 15 novembre 1852, lundi matin 8 h. ½
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour et plaisir pour toi toute la journée, mon cher petit homme. Voilà un temps tout à fait à souhait pour votre expédition artistique et scientifique. J’espère pour toi qu’il tiendra jusqu’au soir. J’espère aussi que tu pourras peut-être venir me voir un moment en allant à la ville et dans cette espérance j’ai fait ta tisane tout de suite pour que tes yeux adorés en profitent.
Cher bien-aimé, je n’ose pas toucher à rien de mon cœur de peur d’y réveiller des souvenirs mal endormis depuis hier. Mais tu sais que je t’aime au-delà de tout ce que je pourrai te dire. Aussi mon silence ne peut pas te faire prendre le change sur mon amour qui est plus ardent, plus entier, hélas ! et plus jaloux que jamais.
Mon Victor, je veux que tu t’amuses aujourd’hui, que tu sois très content et très heureux, même avec la collaboration des diverses proscrites dont tu m’as parlé hier. Plus tu seras heureux et plus je me sentirai de courage et de patience pour supporter ton absence d’aujourd’hui. J’ai besoin de ton bonheur comme baume bienfaisant pour mon pauvre cœur malade. Tes remords, quels qu’ils soient, et surtout ceux que tu m’avouais hier, ne peuvent qu’envenimer la plaie très mal fermée qu’il a au-devant de lui. Aussi, mon Victor, je te supplie d’être le plus heureux que tu pourras pour tâcher d’oublier tes remords et tes regrets.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16372, f. 165-166
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette