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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 24 septembre 1852, vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit Brahma, bonjour mon cher petit Dieu païen, bonjour, mon cher petit Vishnou, bonjour. Savez-vous que je suis femme à vous demander encore une bonne petite promenade aujourd’hui. C’est vrai que vous êtes homme à me refuser, ce qui rend ma hardiesse à peu près négative. C’est égal, je me risque. D’ailleurs il n’y a que les zonteux qui perdent. Je vous demande donc effrontément de me traîner avec vous tantôt : à pied, à cheval, en bateau, en ballon, en voiture et en omnibus, peu importe, pourvu que nous pérégrinions ensemble à la face de Dieu, des hommes et des poissons. Je n’ai pas songé à te demander hier si tu avais eu le temps de faire ta visite au citoyen Pierre Leroux mais il me semble que si tu dois y aller aujourd’hui il n’y a aucun inconvénient à ce que je t’accompagne jusqu’à sa porte et à ce que je t’attende dans son voisinage ? Il est vrai que tu n’as pas la même opinion que moi sur ce genre d’association de promenades et de visites. Aussi, il est peu probable que tu acceptes ma proposition ; je m’y résigne d’avance et d’autant plus volontiers si tu trouves moyen malgré cela de me faire sortir aujourd’hui soit avant, soit après ta visite au susdit citoyen. En attendant ta décision, je vais me hâter de faire toutes mes affaires pour être prête à tout et à autre chose le cas échéant. Baisez-moi. Je vous le rendrai. Soyez tranquille.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 361-362
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 24 septembre 1852, après-midi, 1 h. ¾

Je viens de te suivre du regard aussi que mes yeux ont pu t’apercevoir, mon doux adoré, mais mon âme est restée dans ton sillage et tu la traînesa derrière toi. Si elle avait une forme visible tu la verrais chaque fois que tu te retournes pour regarder les belles dames qui te croisent et les encriers introuvables que tu cherches, avec une si minutieuse attention. Je t’ai laissé partir seul à mon cœur défendant mais je serais bien heureuse si tu pouvais revenir bientôt et si nous pouvions faire ensemble une petite promenade semi-maritime et champêtre. Cependant je ne veux pas trop l’espérer parce que je sens que tu n’es pas maître de prolonger ou de couper court une conversation dont tu es naturellement le principal interlocuteur et comme je suis assez déraisonnable pour me faire un vrai chagrin de n’importe quelle petite déception dont tu es l’objet, je tâche de ne pas me créer des bonheurs fantastiques pour les éviter. Je t’attendrai donc chez moi, mon cher petit homme, trop heureuse de te prendre quand tu viendras, fût-ce même très tard. Seulement je vous prie de regarder le moins possible les points de vue anacréontiques que vous rencontrerez le long du chemin et de ne chercher votre encrier que dans les pierres dont on en fait. Sur ce, revenez-moi bien vite, et aimez-moi bien fort si vous ne voulez pas que je dévoile les roueries de votre brahmanisme et votre secret de couper la fièvre à l’œuf.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 363-364
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « traîne ».

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