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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 16 avril 1852, vendredi matin, 8 h.

Bonjour mon ineffable bien-aimé, bonjour, je t’aime en lettres de sang et de flamme avec tout mon cœur et toute mon âme, je t’adore. J’ai mis ton cher petit billet à coucher avec moi [1]. À force de le baiser il me semblait que je l’avais animé et que les battements de mon cœur faisaient de nouveau circuler ton sang comme lorsqu’il était encore dans tes veines. Cher petit billet, je voudrais t’enfermer dans l’or et dans les diamants, dans ce qu’il y a de plus pur, de plus beau et de plus durable, comme une relique précieuse, comme un talisman d’amour destiné à être adoré après moi par tous les amants à venir. Le plus riche présent, le bijou le plus splendide ne m’auraienta pas fait la centième partie de la joie que m’a causéeb ce cher petit billet écrit avec ton sang. Mon Victor adoré, chacune de ces petites lettres rouges s’est impriméec en lettre de feu dans mon cœur. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Tu vas avoir tes chers enfants et ta noble et digne femme, tu vas être heureux, je n’ai plus rien à désirer et rien à craindre. Aussi tu vas voir avec quelle confiance je vais être heureuse. Soigned ta chère santé, mon pauvre petit homme, ne travaille pas trop à la fois pour que notre bonheur ne soit pas troublé par aucun souci. Tâche de me faire savoir si tu as reçu des nouvelles de Paris. J’ai hâte de voir se confirmer officiellement et intimement cette bonne nouvelle impriméec et il me semble que, sans entrer dans aucun détail, ta femme pourrait t’écrire ce qu’il y a de vrai dans cette espérance présentée par le journal comme une certitude, quitte à t’écrire ensuite confidentiellement à la première occasion [2]. Je suis impatiente pour voir tous mes chers êtres bien-aimés, de connaître ce qu’il y a de vrai dans cette affirmation de la correspondance de L’Indépendance belge. En attendant je fais des vœux ardents pour que cette nouvelle si désirable soit telle qu’on l’a dite, et je t’aime avec un redoublement de tendresse, d’admiration et de respect.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 307-308
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « aurait ».
b) « causé ».
c) « imprimé ».
d) « soignes ».


Bruxelles, 16 avril 1852, vendredi après-midi, 2 h. ½

Tu m’as fait dire par Suzanne que tu tâcherais de me faire sortir à 2 h. aujourd’hui, mon doux bien-aimé, tu es déjà en retard d’une demi-heurea mais pour te laisser plus de latitude, mon amour béni, je ne me suis pas encore habillée, pensant bien qu’il te serait impossible d’être exact à l’heure. Du reste il fait un temps à souhait et rien ne peut être plus doux et plus charmant qu’une petite promenade côte à côte avec toi. Je la savoure d’avance. Mais, mon cher petit homme, j’espère que tu ne comptes pas sur ton soulier pour cela ? Il ne peut être fait au plus tôt que demain. Nous avons reconnu avec la femme de ménage que la doublure étant usée en dedans il faudrait faire mettre un petit bout de peau verni en dessus à la place de la pièce en drap pour que ce soit plus solide. Ce qui ne se verra pas et ne sera pas ridicule. Il est probable que tu te seras accroché à quelque pointe aiguë de ce pavé hideux car le trou avait l’air d’avoir été déchiré par un clou. Quoi qu’ilb en soit, mon bon petit homme, il est impossible de le faire raccommoder avant demain. Seulement il serait bien absurde que tu l’attendissesc pour sortir aujourd’hui. Si j’osais j’enverrais Suzanne t’en prévenir en te portant ta bougie. Ma foi je me risque, tant pire si je dérange quelque doux tête-à-tête. Voime, voime, que je vous y prenne, pôlisson, et vous verrez sur quelle manche je mouche mon rhume de cerveau. Il faut avouer que je suis bien bête de vous avoir repris le vôtre pour rien. Certes il y a matière à une fameuse indemnité quand cela ne serait que pour le blanchissage de mouchoirs. Mais c’est une horreur qu’un rhume comme cela et Dieu sait quand il finira. À en juger par ce qui se passe en ce moment même je ne suis pas au bout de mes infortunes nasales. Taisez-vous, monstre d’homme, et venez tout de suite me moucher. En attendant Dieu vous bénisse et moi aussi. Je vous adore atchi ! atchi ! atchi ! Avant, pendant et après.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 309-310
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « demie heure ».
b) « quoiqu’il ».
c) « attendisse.

Notes

[1Un billet sur lequel Victor Hugo a écrit « Je t’aime » (Œuvres complètes, CFL, t. VIII, p. 1102).

[2François-Victor Hugo, emprisonné à la Conciergerie, est sur le point d’être libéré, contre sa volonté, sur l’intervention du Prince Napoléon et du roi Jérôme. Hugo espère le voir arriver à Bruxelles, mais François-Victor partira vivre auprès d’Anaïs Liévenne.

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