Paris, 25 déc[embre] [18]79, jeudi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je t’aime. Ce pléonasme qui sort de mon cœur à chaque battement de mon sang, mon âme le répète en le sublimant : je t’adore !
Hélas ! le bonhomme Noël nous a apporté une bien mauvaise nouvelle ce matin. C’est la séparation définitive du Rappel [1] et de son vaillant collaborateur Camille Pelletan. Lui-même te l’écrit en termes très contrits mais très résolus. Dieu veuille qu’il ne s’en repente pas. Quant au Rappel il est trop bien armé en guerre pour en souffrir mais cette séparation, disons, entre nous, cette défection, doit être très sensible à notre brave et cher ami Auguste Vacquerie. Je doute que l’affaire Clemenceau [2] sache tirer un bon parti de cette précieuse collaboration.
En attendant, mon grand petit homme, le temps continue à être de plus en plus hideux ce matin, avec le brouillard le plus épais, toujours sans dégel, c’est navrant. Enfin il faudra bien que la bonne cause triomphe et que le soleil rentre victorieux dans nos murs. Ce n’est qu’une question de temps mais il est long et bien noir pour les pauvres gens qui n’ont ni feu ni lieu et pas de pain toujours. Je prie Dieu de les prendre en pitié et de nous pardonner nos offenses envers lui comme nous devons nous les pardonner entre nous. Je t’aime, je te souris et je te bénis de toute mon âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 313
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette