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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 octobre [1841], lundi matin, 11 h. ¼

Je vous aime, mon Toto, mais je suis triste comme vous pensez bien et d’ailleurs, je n’ai aucun sujet de me réjouir car vous êtes absent, et il y a tout lieu de croire que vous ramènerez tout votre monde aujourd’hui à Paris [1]. J’ai un si grand mal de tête que j’ai failli ne pas me lever. Si cela continue, dès que j’aurai compté le linge de la blanchisseuse, je me recoucherai.
J’ai été forcée de prendre l’argent de la bonne pour payer les 2 blanchissages arriérés ainsi que des choses pour la lampe, verre, mèches et garde-vue, ce qui fait déjà très près de 22 F. Tout cela me serait parfaitement égal si tu étais auprès de moi et si je n’avais pas la crainte de te voir ramener toute ta famille à Paris aujourd’hui même.
J’ai vu Mme Pierceau hier qui a trouvé moyen de me tailler deux chemises de flanelle dans des coupons où je pensais qu’il n’y en aurait qu’une et demie. Je n’ai donc pas copiéa à cause d’elle hier et aujourd’hui, je ne sais pas si je le pourrai. J’ai les yeux tout remplis de sang et je peux à peine les ouvrir. Enfin, je ferai tout ce que je pourrai et ce ne sera pas ma faute si j’y renonce car c’est bien admirablement beau… Je l’ai lu hier dès que tu as été parti et depuis ce moment j’ai envie de le relire [2]. Mais pour que mon mal de tête se calme, il me faudrait TOI tout de suite et tu n’as pas l’air de venir bien vite. Je t’aime trop, mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 23-24
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « copier ».


11 octobre [1841], lundi après-midi, 3 h.

Je souffre, mon pauvre bien-aimé, vraiment je souffre beaucoup. Je devrais ne pas t’écrire dans ces moments-là parce que je me plains malgré moi et que je suis injuste, mais peut-être tu pourrais penser que c’est parce que cela me coûte à faire. Alors, j’aime mieux t’écrire des noirceurs et des inepties que de ne pas t’écrire du tout.
La servarde m’a casséa tantôt ma carafeb de Suisse, il ne me reste plus des deux que des tessons hideux. Au reste, il y a quelques jours que je pressentais cela et si on m’eût écoutéec, cela ne serait pas arrivé et j’aurais encore mon souvenir du RIGI [3].
La blanchisseuse est venue, je l’ai payée avec l’argent de Suzanne. Je vais copier tout de suite après mon gribouillis, je ne te promets pas de le faire longtemps car je n’ai jamais eu plus mal à la tête qu’aujourd’hui. Si tu ne reviens pas bien vite, tu me trouveras morte ou enragée. Mon Dieu, que je souffre ! Mon Dieu, quel hideux temps ! Mon Dieu, quel affreux amour qui ne me laisse ni paix ni trêve dès que vous n’êtes plus là pour le contenter ! Mon Dieu, que je suis stupide.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 25-26
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « cassée ».
b) « caraffe ».
c) « écouté ».

Notes

[1Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin. Les fils de Hugo sont revenus à Paris le 7 octobre et Adèle et ses filles y reviendront le 14.

[2Hugo est en train d’écrire la conclusion du Rhin.

[3Montagne suisse à proximité de Lucerne. Juliette a probablement ramené ce vase du voyage qu’elle a effectué en Suisse d’août à octobre 1839 avec Hugo.

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