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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 octobre [1841], jeudi, midi ½

Mon cher petit bien-aimé, je désire me tromper et que vous ne soyez pas parti jusqu’à demain à Saint-Prix, mais la vieille cravatea et votre fuite éperdue [1], tout cela sent la campagne mieux que baumeb [2] et je sens mon nez sec cartonner malgré moi [3]. Tout cela ne fait pas mon compte et je commence à me trouver bien victime et bien malheureuse. J’ai bien envie de vous donner de la mort aux rats pour voir comment ça fera. Si ça ne vous donne pas d’amour, ça vous donnera la colique, ce sera toujours ça de gagné. En attendant, je me dépêche pour pouvoir travailler. Je voudrais avoir fini avant ce soir afin que si vous n’êtes pas parti à la campagne vous m’en donniez bien vite, d’autres TRAVAUX. Vous êtes venu seulement pour M’HUMILIER et pas pour autre chose mais je la sais peut-être plus que vous, mon orthographe. Entendez-vous ça, méchant académicien que vous êtes. Tâchez toujours de venir manger votre gigot ce soir ou sinon je le fiche par la fenêtre avec ORTHOGRAPHE. Avec ça que vous la savez bien, vous, l’orthographe, voime, voime.
En attendant, j’ai très mal à la tête et vous ne me faites jamais sortir, ce qui constitue uned hygiène médiocre. Mais quand ça finira-t-il, mon Dieu ? Ça commence à M’EMBÊTER au suprême degré, l’orthographe y est-ellee, dites ? Je vous déteste, vilain monstre, et je brûle de vous revoir pour vous dire un peu tout ce que j’ai sur le cœur. Il y en aura long sans le large et vous verrez un peu de quoi y retourne de ME BLESSER dans mon orthographe. Scélérat, si je [te] tenais, tu en passerais un drôle de quart d’heure, pas de matelas mais de griffes et de giffes à indiscrétion. Baise-moi, monstre, baise-moi et tais-toi. Tu n’es qu’un immonde académicien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 15-16
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « cravatte ».
b) « beaume ».
c) « ce ».
d) « un ».
e) « il ».

Notes

[1Réplique du monologue de Don César dans Ruy Blas, acte IV, scène 3 : « Puis, quel roman ! Le jour où j’arrive, c’est fort, / Ces mêmes alguazils rencontrés tout d’abord ! / Leur poursuite enragée et ma fuite éperdue ; / Je saute un mur ; j’avise une maison perdue ».

[2Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin. Et justement, le jour même, Adèle Hugo va ramener ses deux fils à Paris.

[3Hugo est en fait parti déjeuner chez Auguste Vacquerie. En témoigne sa lettre envoyée la veille : « Il est convenu que nous dînons demain jeudi avec vous, mon cher poëte. Mais soyez assez bon pour me faire savoir par un mot, avant deux heures, s’il est possible, où et à quelle heure nous devons vous rejoindre. Je vous rapporterai les deux bagues qui sont exquises. / À vous de tout cœur » (Œuvres complètes de Victor Hugo, Correspondance, Tome IV (année 1874-1885, addendum), Paris, Imprimerie Nationale, Albin Michel, Ollendorff, 1947-1952, p. 180).

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