Guernesey, 27 décembre 1860, jeudi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme bien-aimé. Bonjour, comment as-tu dormi dans ton grandissime lit et comment se trouve ta pauvre gorge de ton changement de logis [1] ? Enfin, mon doux adoré, te sens-tu tout-à-fait bien ce matin ? Voilà ce que je désire savoir et ce que je voudrais qui fût quand je devrais le payer un an et plus de ma propre santé. Cher adoré, si les paroles et les mots avaient les sons et la forme de l’âme, les miens résonneraient à ton oreille comme la plus douce musique et rayonneraient à tes yeux comme autant d’étoiles et de soleils, au lieu de t’apparaître sous la forme de grimoire inintelligible et de pattes de mouche épileptiques. Et pourtant Dieu sait si je t’aime, mon ineffable adoré ! Dieu sait combien j’ai besoin d’épancher le trop-plein de ma reconnaissance pour tout ce que tu fais pour moi et pour la mémoire en ce monde de mon ange de là-haut [2]. Je voudrais répandre mon cœur sous tes pieds. Je voudrais t’enlever jusqu’au ciel, je voudrais mourir pour toi et pour toutes ces aspirations je ne trouve que ce seul mot : Je t’aime, je t’aime, je t’aime, toute ma vie est là. Je t’aime, je t’aime.
Librairie Laurent Collet (février 2018)
Transcription de Florence Naugrette