30 juillet [1841], vendredi midi ½
Je viens de finir ta copie, mon cher bien-aimé, tu peux donc m’en apporter d’autre quand tu voudras, le plus tôta sera le mieux. Je n’ai pas fait ma toilette ni les petits virements quotidiens auxquelsb je me suis habituée depuis que je m’occupe de mon ménage, mais je vais les faire à présent. Je ne peux pas te dire la tristesse profonde que j’ai éprouvéec malgré moi en copiant les portraits de ces trois Anglaises qui sont des Françaises, qui sont des femmes de votre imagination, c’est-à-dire des femmes blondes, jeunes, belles, charmantes et ravissantes [1]. Hélas ! si c’est ainsi que vous rêvez le beau idéal, qu’est-ce que je suis pour vous, mon Dieu, une affreuse vieille femme noire, informe et grossière [2]. Tout le temps que j’ai copiéd cette fantasmagorie de votre cerveau, j’ai eu une douleur au cœur qui a persisté même après avoir fini, car en vous écrivant je le sens encore comme une écharde qu’on sent en la touchant du doigt [3]. Mon Toto, mon Toto, vous ne saurez jamais comment je vous aime et combien je vous aime.
Je t’attends, mon bien-aimé. J’ai besoin de te voir plus que jamais car je suis vraiment triste et malheureuse dans ce moment. C’est aujourd’hui… mais non, je me trompe, ton procès a encore été remis au 11 août. Ainsi ce n’est pas aujourd’hui que tu es forcé d’aller au tribunal [4]. Tâche de venir un peu plus tôta me voir, cela me donnera du courage et de la confiance. Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon Victor.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 101-102
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « plutôt ».
b) « auquels ».
c) « éprouvé ».
d) « copier ».