13 juin [1841], dimanche matin, 10 h. ½
Bonjour mon amour chéri, bonjour mon Toto bien-aimé. Bonjour, je t’aime. Comment vas-tu, mon petit homme ? Quant à moi on ne m’entenda plus parler et je ne fais que tousser. J’ai la gorge arrachée, je suis dans un état hideux et je ne comprends pas que cela m’ait priseb si subitement et si fort. Enfin c’est un phénomène dont je me serais bien passéec.
Vous avez oublié vos beaux gants, mon amour. J’ai cru d’abord qu’il y avait quelque bouton ou quelque décousure à refaire mais ils sont intacts et n’ont conservé que la forme de vos jolies petites pattes. Je me suis amuséed à soufflere dedans pour rendre l’illusion plus complètef. Vous êtes mon Toto ravissant.
J’espère, mon amour, qu’à défaut de la lettre originale de ton père [1] tu me donneras celle d’hier dont je m’étais déjà emparée faute de mieux car je sens, malgré mon avidité à m’emparer de tout ce qui parle de toi, de tout ce qui t’approche ou te touche, que la lettre originale de ton père revient de droit à la bonne petite Didine. Mais ce sacrifice une fois fait je deviens encore plus happe-chairg et plus enragée pour celle du parent prussien [2]. Ia, ia, Monsire, Matame, il est son sarme la vieille Juju. Je vous aime, taisez-vous et venez bien vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 247-248
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « entends ».
b) « m’est pris ».
c) « passé ».
d) « amusé ».
e) « souffer ».
f) « complette ».
g) « happechaire ».
13 juin [1841], dimanche après-midi, 3 h.
Quel affreux temps, mon amour, j’y vois à peine à t’écrire. Heureusement qu’il fait très clair dans mon cœur et que je distingue très bien mon amour et le désir de te voir avec ton absence et la tristesse qu’elle me cause.
Le bottier [3] est venu avec son paquet d’échantillonsa dont pas un n’approchait de la couleur de ton pantalon. Pour éviter tout malentendu à ce sujet je lui ai donné le pantalon tout entier à emporter afin qu’il puisse rassortir sur le gousset de derrière. Je lui ai recommandé en outre de te rendre le pantalon et les souliers le plus tôtb possible.
Maintenant, toute grippée et toute éclopéec que je suis, j’ai encore la prétention de vouloir assister à Hernani ce soir [4] si vous voulez bien le permettre, ce qui est moins sûrd que du vinaigre. Je ne sais pas si les femelles viendront [5] vu le temps qu’ile fait mais dans tous les cas je les ferai dîner de bonne heure et ce ne sera pas un obstacle à ce que vous me conduisiez à Hernani ce soir. Je vous aime Toto, je vous adore mon petit homme chéri. Baisez-moi, cher petit homme, baisez-moi bien fort, je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 249-250
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « échantillon ».
b) « plutôt ».
c) « écloppée ».
d) « sûre ».
e) « qui ».