6 juin [1841], dimanche après-midi, une heure
C’est bien gentil à toi d’être venu te reposer un moment auprès de moi, mon amour, seulement ces bonnes inspirations te prennent trop rarement et durent trop peu. Enfin ce n’est pas le moment de pousser des hurlements plaintifs aujourd’hui, c’est déjà bien assez quand j’ai quinze jours de sécheresse sur le cœur. Aujourd’hui je jette mon cri de guerre : QUEL BONHEUR !!!
Vous avez un bien beau temps malgré mes prophéties, cependant je ne me reproche pas de vous avoir fait prendre un cabriolet parce que c’est un peu de repos que je donne à vos chers petits pieds et une chance de rhume de moins que je vous escamote chemin faisant. Demain, si vous êtes raisonnable, vous me laisserez vos brodequins à raccommodera. Je suis très contente de vos caleçonsb et sans la bévue de Mme Pierceau ce serait parfait. Heureusement qu’il n’y en a que trois de faits et qu’on pourra éviter la bêtise sur les autres. Je viens d’écrire à Dabat de venir la semaine prochaine mais il faut nous laisser un échantillon de ton gris, sans cela c’est comme si je ne faisais rien. Ces choses-làc doivent être ou tout à fait pareilles ou tout à fait dépareillées [1].
Je suis sans un sou vaillant au point de ne pas pouvoir envoyer Claire à vêpres faute de deux sous pour sa chaise. Ia, ia monsire matame, il est son sarme, je m’en fiche comme de Louis-Philippe, pourvu que tu m’aimes la richesse n’est pas le Pérou. Baisez-moi, aimez-moi, revenez bien vite et ne me quittez pas et je tire la langue à tous les trésors de l’univers. Toto je vous aime, Toto je baise vos chers petits pieds, Toto je vous désire, Toto je vous adore de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 229-230
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « racommoder ».
b) « calçons ».
c) « chose-là ».