23 avril [1841], vendredi après-midi, 3 h. ½
Vous n’êtes pas le plus coupable et le plus vila des hommes décidément puisque vous êtes venu cette nuit. J’avoue qu’hier j’en doutais beaucoup et que je n’en aurais pas mis ma main à aucune bouche de chaleur pour votre vertu. Aujourd’hui c’est autre chose, j’en mettrais les deux mains dans de l’eau bien chaude. Cela ne m’empêche pas d’avoir des coliques atroces et de désirer me coucher très tôt car je souffre [1]. J’ai à côté de moi mon pauvre Cascarinet [2] qui dort au soleil, bien entendu que sa cage est fermée, autrement le petit compère filerait un peu vite au lieu de cligner de la prunelle.
J’espère que vous avez pu vous rendre compte de ce que c’est qu’un COCHON d’après le Toto emplumé qui ressemble si fort pour la propreté au Toto en paletot de ma connaissance ? Il est impossible de se ressembler mieux, aussi ma maison va être propre, ia ia , on en voit déjà les expériences.
Tiens tiensb, ce petit bêtac qui écoute la musique avec une attention comique bien farce. J’avais déjà cru m’apercevoird que lorsque je chantais, il était toute attention et que cela lui faisait un certain effet. C’est peut-être l’âme de quelque virtuose qui a pris possession du corps de notre bichon ? Ça n’est pas impossible avec votre système de la jolie femme changée en crapaude après sa mort [3]. Décidément mon volatile est musicien, il danse sur son bâton comme un cheval de Franconi. Le voici qui saute avec fureur en bas de sa cage et qui jette toutes ses graines sur le plancher. Il paraît qu’il n’aime pas la vielle mais moi il paraît que j’adore le radotage car en voici trois pages un peu bourrées. Voilà ce que c’est que d’être bête comme une oie et d’avoir un pigeon drolatique. Baisez-moi, mon amour, et ne vous modelez pas sur la manière de faire de Cascarinet car sans cela je vous ficherai des coups et je vous mettrai le nez dedans. Baisez-moi encore, baisez-moi encore, baisez-moi toujours et revenez bien vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 81-82
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « vile ».
b) « tien tien ».
c) « bêtat ».
d) « m’appercevoir ».