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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 avril [1841], mardi après-midi, 4 h.

Je suis accablée par le mal de tête, je ne sais pas que devenir, mon pauvre bien-aimé. C’est fort triste d’être en proie continuellement à cette hideuse infirmité, le jour où je ne souffrirai plus de cela je serai bien heureuse. En attendant, je suis stupide et insupportable à toi et à moi, je le sens sans pouvoir y remédier. La seule excuse que je me donne à moi-même c’est que ce n’est pas ma faute. J’ai refusé le spectacle ce soir parce que je me sens incapable d’aller m’enfermer pendant deux ou trois heures dans n’importe quel théâtre et puis toute réflexion faite, Claire est trop prèsa de sa première communion [1] pour la mener au spectacle, même à MONSIEUR Fouilloux. Je viens de lui donner tes 3 F., ce qui va lui mettre du baumeb dans ses épinards demain [2]. Nous la reconduirons [3] et voilà, c’est bien assez de plaisir comme ça.
Tiens, je viens de faire la grande ourse, la petite ourse, la lune et le soleil sur mon papier, ça n’est déjà pas si maladroit pour une pauvre Juju qui n’a aucune prétention à l’astronomie [4]. Si c’était vous, à la bonne heure, vous feriez toutes les constellations, les lunes et les demi-lunesc et tout le firmament avec les DISTANCES marquées en chiffres. Ia, ia monsire MATAME, il est son SARME, baisez-moi, vieux brigand.
Je viens de résister à une fameuse tentation tout à l’heure en ne fourrantd pas mon nez jusqu’à la garde dans vos gribouillis. Je me suis seulement permise le manuscrit de la femelle Népomucenie mais j’ai bien vite secouéf mes pattes et mes moustaches comme un chat qui goûteg à de la lessive. Pouah, ce sirop d’académicien, ce jus de mort vous fait venir le cœur sur les lèvres [5]. J’aime mieux votre élixir de longue vie, chacun son goût. Baisez-moi encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 45-46
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « prêt ».
b) « beaume ».
c) « demies lunes ».
d) « fourant ».
e) « permise ».
f) « secouer ».
g) « goutte ».

Notes

[1La première communion de Claire est prévue pour le jeudi 27 mai vers 8 h.

[2Claire est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et c’est Hugo qui en assume les frais à la place de son véritable père, James Pradier.

[3L’adolescente est arrivée la veille au soir chez sa mère. D’ordinaire, ce sont les Lanvin qui se chargent d’aller chercher la jeune fille et de la ramener à la pension.

[4L’encre de la plume de Juliette a coulé et a fait des taches rondes un peu partout sur sa feuille.

[5Victor Hugo a été élu à l’Académie française le 7 janvier 1841, au fauteuil no 14 précédemment occupé par le défunt Népomucène Lemercier. À l’occasion de son discours de réception prévu pour le 3 juin, que le poète est en train de préparer depuis le 19 mars, l’usage veut qu’un nouvel académicien fasse l’éloge du précédent. Or, Lemercier ayant été l’un des plus fermes opposants de Hugo, Juliette le détestait. Elle fait ainsi probablement référence ici à une lettre rédigée pour la fille de Lemercier, avec laquelle Hugo échangeait une correspondance dans l’attente de la réception. Il lui écrira par exemple le 28 avril 1841 : « À Mademoiselle Lemercier, / La séance, Mademoiselle, n’aura lieu qu’à la fin de mai. D’ici là je me mettrai à votre disposition et à celle de madame votre mère pour vous lire ce discours puisque vous désirez l’entendre. Croyez, ainsi que madame votre mère, à ma profonde et respectueuse sympathie. / Victor Hugo. / Ma femme et ma fille sont bien heureuses de vos amicales et gracieuses paroles. » (Victor Hugo, Œuvres complètes, Correspondance, Tome IV, Paris, Imprimerie nationale, Ollendorff, p. 176.)

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