28 février [1841], dimanche midi
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour bien-aimé. Comment vous portez-vous mes deux Toto [1] ? Comment allez-vous ce matin mes chers petits bonhommes ? J’ai rêvé de vous deux toute la nuit, mes pauvres petits amis. Je pense à vous tous les deux et je baise mon grand Toto de l’âme et du cœur en attendant que je puisse le baiser des yeux et des lèvres.
Pourquoi n’es-tu pas venu ce matin, cher bien-aimé ? Tu te serais reposé auprès de moi au lieu de te coucher tout bonnement dans ton petit lit de garçon. Tu vas encore laissera passer ce mois-ci comme les deux derniers et puis tu viendras juste au moment où je serai malade, ce qui ne sera pas très drôle, à moins que tu n’aies fait vœu de chasteté, auquel cas toute ta conduite s’explique parfaitement [2].
Il a tombé de la neige ce matin à ce que dit ma servade, peut-être cela t’a-t-il empêché de sortir, mon cher adoré, auquel cas je vous pardonne. J’ai l’ouvrière [3] qui se dépêche dare-dareb à me faire ma robe dont j’ai le plus grand besoin [4]. L’hiver se prolonge indéfiniment, c’est ennuyeuxc et triste car j’espérais que, si le beau temps venait, tu m’aurais fait sortir, ce qui aurait été pour moi une occasion de te voir et de te baiser sur toutes les coutures de ton habit. Aussi je vois avec découragement le temps rester au froid, à la pluie, à la neige et au LAID FIXE comme un portrait de Louis-Philippe, avec la perspectived de rester chez moi toute seule tous les jours et toutes les nuits. Il est vrai que je peux chanter sur ma trompette turlututu chapeau pointu, Pégase est un cheval qui pêête au nez des membrese de l’Institutf [5], mais c’est égal, je suis triste. J’ai besoin de vous voir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 189-190
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « laissé ».
b) « dar dar ».
c) « ennuieux ».
d) « pespective ».
e) « membre ».
f) Les mots « trompette », « pointu », « pêête » et « Institut », sont écrits sous forme de vague ascendante.
28 février [1841], dimanche soir, 4 h. ¾
J’attends ma robe [6], j’attends mes femelles [7]. Quanta à vous, cher scélérat, je ne veux pas vous dire que je vous attends car c’est toujours le même refrain et que vous devez en êtreb rebattu. Je vous désire, je vous aime mais vous n’en viendrez pas plus vite, au contraire.
Je voudrais bien savoir, mon pauvre bien-aimé, comment va M. Bertin. Je sais que tu t’en inquiètesc et c’est une raison pour moi de m’en occuper [8]. J’aime tout ce que tu aimes, mon Toto, je ne veux pas qu’il y ait l’épaisseur d’une amitié quelconque entre ton cœur et le mien. Je t’aime, mon ravissant petit homme, je t’aime de toute mon âme.
L’ouvrière [9] n’a pas encore fini ; Suzanne se plaît à lui retourner son dimanche dans le cœur avec une joie féroce dont est susceptibled la plus bête des servades comme la plus spirituelle des femmes. Moi je reste en chemise, froide et impassible comme il convient à une femme morfondue.
J’ai mis des beaux bas de soie de la Marquise de SAINT-SORLIN [10]. Je sors des bas de [ramoneurs ?] pour entrer dans les bas de marquises sans transition et uniquement pour vous plaire. Je vous fais toutes sortes de coquetteries auxquelles vous résistez trop héroïquement pour que je vous en fasse mon compliment. Vous êtes une bête, entendez-vous ça.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 191-192
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « quand ».
b) « en être en être ».
c) « inquiète ».
d) « suceptible ».