27 février [1841], samedi matin, 11 h.
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon pauvre amour. Comment vas-tu mon cher bien-aimé ce matin ? Moi je ne vais pas. Quand je ne te vois pas, je suis toujours maussade et malingre. Ma santé, ma joie et ma vie c’est toi. Dès que tu n’y es pas, je souffre et je suis triste.
Suzanne est allée à la Halle ce matin, elle a rapporté un panier de raisin, c’est-à-dire ce qu’il contenait : 9 livres pour 4 F. 18 sous. Il est très sain et très beau, cela te rafraîchiraa, mon pauvre amour adoré [1]. Je ne te demande pas pourquoi tu n’es pas venu ce matin, mon pauvre chéri, parce que je me doute trop de ce qui t’en a empêché. Tu as encore passé toute la nuit à travailler, n’est-ce pas mon cher bien-aimé ? Pourvu que tu aies pris quelque repos ce matin. Si tu savais comme cela me tourmente de penser que tu te fatiguesb toutes les nuits à travailler, tu aurais pitié de moi, mon cher adoré, et tu travaillerais moins. Je t’aime mon Toto bien-aimé, je t’aime mon adorable petit homme.
J’espère que ce pauvre M. Bertin ira mieux et que tu n’auras pas à regretter un bon vieillard qui t’aimait comme un fils. Je le désire de tout mon cœur [2]. En attendant, mon cher adoré, que tu m’en apportesc des nouvelles, pense un peu à moi qui t’aime de toute mon âme et qui te désire de toutes mes forces. Tâche de venir de bonne heure dans la journée afin de me la faire trouver moins longue. Aime-moi. Je t’aime, je baise tes chers petits pieds.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 185-186
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « raffraichiras ».
b) « fatigue ».
c) « apporte ».
27 février [1841], samedi soir, 6 h. ¼
Voici qu’il est déjà bien tard, mon bien-aimé, est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Je t’ennuie, mon pauvre petit Toto, à te dire toujours la même chose mais c’est que je ne peux pas m’en empêcher. Je voudrais être assez maîtresse de moi pour ne pas te dire tous les jours combien je trouve le temps long et combien je m’ennuie loin de toi, mais cela m’est impossible. Mon adoré petit homme, il faut que je me plaigne pour ne pas crever dans ma peau. Je t’aime trop, voilà le mal. Baise-moi et pardonne-moi.
Jour Toto, jour mon petit o. J’ai essayé ma fameuse robe rouge, elle ira très bien pour une guenille et elle me tiendra chaud, voilà l’essentiel [3]. Je n’ai pas de quoi payer la susdite couturière et je dois une somme à Suzanne : QUEL BONHEUR !!! Pégasea est un cheval qui pète au nez des membres de l’Institut, je vais vous chanter sur ma trompette turlututu chapeau pointu. Le fait est qu’il faut te dépêcher de leur chanter ce couplet sur l’air, afin de toucher tes ÉMOLUMENTS qui ne DATERONT QUE DU JOUR DE TA RÉCEPTION [4], ce qui me paraît un grave abus. Mais enfin, c’est comme ça et ce que tu as de mieux à faire c’est de te faire recevoir vivement.
J’espère que vous êtes satisfait de la mise en scène et de la partie du discours que je vous ai esquisséeb hier [5] ? Si vous ne l’étiez pas, vous y mettriez de la mauvaise volonté et je renoncerais pour jamais à vous donner des gages de mon talent et de mon dévouement. Je crois que c’est vous justement.
Je vous ai vu. Je suis moins triste, mais c’est trop peu à la fois. Mon petit Toto, tâchez de revenir bien vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 187-188
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « Pégasse ».
b) « esquissé ».