25 août [1836], jeudi soir, 8 h.
Puisque vous me laissez ici toute seule, mon bien-aimé, je vais ne penser qu’à vous et pour preuve c’est que je vous griffonne cette belle feuille de papier blanc. Vous êtes très barbare de me tourifier [1] encore plus que je ne le suis en me laissant sans cesse accroupie dans mon coin au lieu de me promener et de me faire maigrir.
Je vous aime quoique cela vous soit bien égal. Je suis très triste de ne pas vous avoir avec moi, et je le suis encore doublement en pensant que c’est pour travailler à une pièce [2] qui ne sera pas pour moi, après tout le temps que j’ai déjà attendu et ce que j’ai souffert. Quand je pense à cela sérieusement, il me prend des désespoirs qui me feraient fuir à l’autre bout du monde. J’ai tant besoin de songer à mon avenir, j’ai tant perdu de temps à attendre qu’il est presque irréparable pour moi que tu donnes une pièce à un théâtre quelconque dans laquelle je n’aurai pas de rôle. Tu vois mon cher bien-aimé que je ne suis pas aussi généreuse que tu le croyais. Tu vois que je ne peux plus me taire sur le tort que me font trois ans d’éloignement de la scène, quand de ton côté tu fais jouer des pièces.
Je te demande pardon, mais j’ai effroi de la misère. Je ne sais pas ce que je ferais de légitime pour la fuir.
Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16327, f. 268-269
Transcription de Nicole Savy