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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 octobre [1837], mercredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé. Quand je vous dis que vous êtes très gentil, je ne me trompe pas j’espère, surtout si vous venez déjeuner avec moi ce matin comme vous me l’avez promis tout à l’heure. Je sens déjà mon mal de tête se dissiper à cette seule pensée. Il ne tient qu’à vous qu’il n’en soit plus question dans une heure d’ici. Je t’aime mon Victor bien aimé, je t’aime plus que tu ne peux le savoir en supposant que tu supposes l’infini. Moi seule je comprends comment je t’aime. Je t’aime, je t’aime.
J’en reviens encore, non pas à mes moutons, mais à notre chère petite vallée et nos bois si charmants. Je voudrais y faire une excursion. Vos beaux vers ont encore développé ce besoin davantage [1]. Et je serais bien heureuse de faire avec vous un nouvel état des lieux. Je suis sûre que je retrouverais plus que toi les endroits où nous avons été si heureux. Aujourd’hui aurait été un bien beau jour pour cette expédition. Le soleil est beau et chaud. Quel dommage que vous ne soyez pas disposé. Je vous assure pourtant que nous aurions très bien fait dans le paysage.
Vous êtes une bête. Pouh ! Pouh !
J’ai interrompu cet endroit de ma lettre pour acheter du raisin fort beau et à votre intention car je me confirme de plus en plus dans l’espoir que vous allez venir déjeuner avec moi. Vous pourrez d’ailleurs en emportera à vos petits loups puisqu’il est très bon. Jour pa. Il me semble que vous ne m’avez pas beaucoup embrassée ce matin, parce que j’étais trop laide. Mais ça ne devrait pas être une raison pour vous et je vous en veux de n’avoir pas passé par-dessus ma laideur pour m’embrasser de toutes vos forces. Si c’était moi, votre beauté éblouissante ne m’arrêterait pas et je vous caresserais depuis le haut jusqu’en bas sans le moindre scrupule. Voilà la différence. Osez dire après cela que c’est vous qui m’aimez le plus !
Ça ne m’empêche pas de vous pardonner et de vous aimer de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 309-310
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) « emporté ».


25 octobre [1837], mercredi après-midi, 3 h.

Vous êtes bien absurde, mon petit homme, de me faire habiller pour rien. Il vaudrait mieux avoir le courage de me refuser que de me faire faire du mauvais sang à vous attendre inutilement. Pour un rien je me déshabillerais et j’enverrais tout au diable. Il est vrai que vous avez sans doute quelque chien coiffé [2] à entretenir ce qui peut jusqu’à un certain point vous rendre excusable. Quoi qu’il en soit je rage beaucoup et je m’en veux encore plus de m’être de nouveau laissé prendre à des promesses que vous n’avez jamais l’intention de tenir.
Vous aviez cependant bien commencé la journée ce matin. Peut-être la finirez-vous mieux encore, car il faut toujours espérer à défaut d’autre chose. Ça tient lieu du bonheur qu’on n’a pasa. Je suis vraiment en colère plus encore contre moi que contre vous. J’aurais dû penser que je ne devais pas compter sur vous et agir en conséquence, c’est-à-dire rester dans ma robe de chambre et dans mon coin à travailler. Une autre fois vous serez bien fin si vous m’attrapez encore. En attendant je vous aime comme de juste et de raison. Moins vous êtes aimable et plus vous êtes aimé. C’est une prime que je vous accorde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 311-312
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « qu’on a pas ».

Notes

[1Juliette a pu lire la veille le poème « Tristesse d’Olympio » que Victor Hugo a composé lors de son passage aux Roches, endroit chargé de souvenirs et où Juliette rêve de retourner.

[2Un « chien coiffé » : premier venu, n’importe qui.

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