Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Octobre > 12

12 octobre [1837], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto adoré, bonjour. Vous voyez que si les jours ne se suivent pas pour le bonheur, ils se ressemblent tous pour l’amour. Je vous aime ce matin comme je vous aimais hier, comme je vous aimerai demain, comme je vous aimerai toujours. Ça dépend du temps et des choses. J’ai envoyé ce matin Suzette chez Mme K [1]. Je suis toute seule. Je pourrais si je voulais dévaliser la maison. Qu’est-ce que vous auriez à dire, s’il vous plaît ? En attendant je vous conseille de vous tenir sur vos gardes, de porte cochère. On ne sait pas ce qui peut arriver. Bis. Ce qui peut ce qui peut arriver [2].
J’ai oublié de te dire hier que je n’avais plus d’argent. J’en suis honteuse et chagrine et cependant je sais que je n’emploie pas mal cet argent. C’est donc parce qu’il te coûte tant à gagner, pauvre bien-aimé. Le jour où je ne te serai plus à charge sera un beau jour pour moi. Tu n’auras plus qu’à te laisser aimer et à être heureux. Mais ce jour, quand viendra-t-il ? Hélas ! hélas ! Je m’étourdis sur cette pensée car si je m’y appesantissais je pleurerais toute la journée.
Jour mon pa, jour. Je t’aime mon Victor, je t’aime mon grand Toto, je t’adore mon To.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 265-266
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


12 octobre [1837], jeudi soir, 5 h. ¾

Je sais que tu travailles, mon cher petit homme, et cependant je me tourmente. Je crains qu’il ne te soit arrivé quelque chose. J’ai bien besoin de te voir mon cher adoré pour reprendre un peu de calme et de courage car je suis toute démoralisée. J’ai eu tantôt la visite du propriétaire et de son architecte. J’ai aussi reçu une lettre venue de la rue des Tournelles [3]. Je voudrais que tu fusses arrivé pour en savoir le contenu, bien qu’il y ait cent à parier contre un que c’est un créancier farouche.
Je t’aime mon Victor. C’est bien simple en apparence, et pourtant cet amour-là fait le tourment et la joie de ma vie, le désespoir et le ravissement de mon âme. Mon Dieu est-ce que tu ne vas pas venir ? Je suis capable de pleurer comme une bête sans pouvoir me retenir ; et puis vous me gronderez, et puis vous serez injuste comme toujours.
Soir pa, soir man. N’y a pas beaucoup [4] de dessert mais en revanche il y a beaucoup de DÉSERT. Je n’aime la solitude qu’avec vous, mon cher petit homme. Autrement c’est fort triste et fort ennuyeuxa. Ça n’empêche pas que je t’aime, au contraire. Je t’aime toujours plus quoi qu’il arrive.
Et je baise tes petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 267-268
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « ennuieux ».

Notes

[1Mme Krafft.

[2Réemploi probable du vaudeville final dans la pièce d’Armand-Joseph Overnay et Hippolyte Lévesque, Félix et Roger, pièce en un acte représentée pour la première fois au Théâtre de la Gaîté le 3 février 1824. Sur l’air de La dame des belles cousines, les acteurs alternaient des couplets finissant tous par la phrase « on n’sait pas c’qui peut arriver », bissée. Le succès fut beau et le public avait fait répéter certains couplets qui ont pu rester dans la mémoire collective.

[3C’est l’ancienne adresse de Juliette, à laquelle elle a habité entre octobre 1834 et mars 1836 avant son emménagement à l’adresse actuelle rue Sainte-Anastase.

[4L’absence du pronom sujet impersonnel est volontaire et imite le parler populaire.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne