23 septembre [1837], samedi matin, 9 h. ½
Vous êtes un bien méchant petit homme, mon cher adoré, de n’être pas venu voir votre pauvre Juju… une pauvre petite minute depuis hier. Je me suis souvenue que vous aviez un rendez-vous hier avec David et l’auteur italien [1], mais ce n’était pas une raison pour ne pas revenir coucher à Paris. Encore si vous étiez capable de venir déjeuner avec moi ce matin, je ne perdrais pas tout. Mais vous vous en donnerez bien des gardes. J’ai travaillé hier en vous attendant jusqu’à minuit et demie. Le temps de mettre mes papillotesa il était 1 h. du matin lorsque je suis entrée dans mon lit. Je suis doublement triste de ne pas vous avoir vu ces deux jours-ci quand je pense que demain dimanche la meilleure partie de ma journée sera employéeb à recevoir des presquec indifférents tant votre amour absorbe tous les autres sentiments. Vous oubliez aussi toutes les promesses que vous avez faites à Claire. Le chemin de fer [2], Saint-Denis, nous n’avons plus que 7 jours pour tout cela. Je crains bien que vous ne soyez parjure à ces promesses-là comme à toutes celles que vous me faites à moi. Je vous aime mon petit o. Je vous aime mon gros to en dépit de tout et malgré tout. J’aurais pourtant bien des sujets de ne pas vous aimer. Le premier et le plus gros de tous c’est que vous ne m’aimez pas. Mais je ne saurais comment faire pour ne plus vous aimer. Je vous aimerai tant qu’il restera quelque chose de mon moi. Jour mon cher petit homme. Venez donc, j’ai bien besoin de baiser vos lèvres et vos dents.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 197-198
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « papillottes ».
b) « emploiée ».
c) « presques ».
23 septembre [1837], samedi soir, 6 h ½
Vous devenez de plus en plus rare mon bel astre, ce qui fait que j’ai froid et que je suis triste comme une vieille statue moussue oubliée dans le fond d’un vieux jardin. Je ne vous en veux pas mais je voudrais bien que vous fussiez moins occupé et plus amoureux. Vous avez repris bien vite votre belle figure de Paris, mon cher bien aimé petit homme, tandis que moi je garde obstinément mon masque de voyage. Vous auriez dû, ne fût-cea que par procédé, attendre que je vous aie donné l’exemple. À qui donc êtes-vous si pressé de plaire, mon beau garçon ? Quelle est la Liron ou Luronne [3] que vous voulez mettre à ma place ? Dans tous les cas je vous préviens que j’aurai moins d’esprit que M. Granier et que je vous tomberai sur vos deux carcasses respectives à grands coups de trique, vous entendez ? Maintenant vous pouvez chercher votre estafièreb [4] si vous tenez à voir vos os servir de poudre à mon écriture plus ou moins moulée [5].
Si tu viens ce soir très tôt je serai si heureuse, si gaie, si contente et si bonne que tu ne voudras plus me quitter de la vie ni des jours. Mais si tu ne viens pas je serai tout à fait le contraire et il faudra me plaindre et m’aimer de toute ton âme pour me consoler. Voici que vous laissez encore s’encombrer ma boîte aux lettres [6]. Toto, Toto, j’en ferai un feu de joie si vous ne vous dépêchez pas de les prendre. Prenez-y garde.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 199-200
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Guimbaud]
a) « fusse ».
b) « estaffière ».