Guernesey, 6 décembre 1862, samedi après-midi, 2 h. ½
Je m’en veux, mon pauvre cher bien-aimé, de m’être laissé donner le change sur les nouvelles de ta nuit par ta plaisanterie ESPAGNOLE à cette stupide Suzarde. Une autre fois je ne te permettrai le rire qu’après que tu m’auras dit très sérieusement comment tu as passé la nuit et comment tu te portes et combien tu m’aimes. En attendant, je suis en proie au doute et je ne pourrai pas être renseignée sur ce qui intéresse mon cœur avant ce soir, car le temps est si hideux que je n’ose pas souhaiter que tu sortes avant l’heure de notre cher petit dîner. Il faut espérer qu’aucune menace d’Anglais [1] ne viendra troubler notre jovialité et couper le dix de carreau sous le pied du Nain Jaune. Aussi, si tu te portes bien, je suis décidée à être très heureuse et à jouer tous les opéras [2] qu’on voudra avec ou sans roi Bémol [3]. Ah ! mais vous verrez si je déchanterai quand il s’agira de pincer l’or. D’ici là, je module mélancoliquement des invectives contre la pluie et je bisque affreusement de n’avoir pas plus d’esprit à mettre sous ma plume. À preuve que je vous aime tout bêtement, et que je vous adore encore plus.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 261
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa