Guernesey, 3 novembre 1862, lundi matin, 10 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. Et vive l’amour ! si tu m’aimes et si tu as passé une bonne nuit. Je viens de compter avec Marie [1], qui n’est rien moins qu’aimable, mais si sa probité est intacte tu dois encore t’estimer heureux de l’avoir à ton service. Mieux vaut encore sa brutalité paysanne, en tant que probité, que les obséquiosités melliflues des autres domestiques plus ou moins suspectes. Quant à moi, je passerais beaucoup de choses à l’honnêteté avérée. Du reste, je prêche un converti et je parle un peu pour le plaisir de parler car tu es plus édifié que moi sur le personnel de ta maison. Moi, je t’aime, voilà ma spécialité. Je crois, mon adoré, que je pourrai sortir un peu tantôt ; mon pied va de mieux en mieux et le temps est charmant. Ainsi, si tu le veux, et si tu le peux, nous ferons une petite excursion à trois heures. En attendant, je remplis cette énorme restitus de tout ce que j’ai de plus tendre, de plus doux et de meilleur en moi sans parvenir à faire une brèche à mon amour. Il me semble, mon cher petit homme, que tu ferais bien d’utiliser la présence de Mme Chenay et mon loisir à collationner toute la copie de Victoire. Qu’en penses-tu ? Ce serait pour moi une manière charmante d’employer le temps en ton absence et ce serait, je crois, une besogne utile à faire du même coup. Penses-y et tâche d’aviser au plus tôt. Et puis je t’aime, je t’aime, je t’aime, et voilà.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 229
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa