Guernesey, 20 novembre 1861, mercredi, 8 h. du matin
Bonjour, mon cher petit matinal. Bonjour qu’on vous dit et bonheur si vous avez passé une bonne nuit et si vous vous portez bien. Moi, je vais très bien, au mal de gorge près, et j’ai pas mal dormi pour moi, à croire que tu m’as devancé dans l’exgibichionne de tes hardes au soleil. Il est vrai que tu y as peut être été forcé par les ouvriers de ton cristal palace que j’ai vus aller et venir sur ton toit ce matin. Pour ma part, je n’en suis pas fâchée, au contraire et je serai bien contente quand je te saurai dans ta petite serre chaude, à l’abri du froid et de l’humidité et en pleine lumière de tous les côtés. Et à ce sujet, je commence à m’inquiéter du rhume de Suzanne, lequel, loin de se guérir, redouble d’intensité. Ce matin, elle tousse comme une malheureuse, elle passe très souvent de mauvaises nuits et je trouve qu’elle maigrit beaucoup. Pauvre fille ! J’ai peur que cela ne soit plus sérieux qu’on ne pense. Je voudrais qu’elle allât consulter Corbin chez lui, mais elle est si entêtée qu’elle s’y refuse. Du reste, tout ce qu’il lui a fait prendre jusqu’à présent ne lui a rien fait. Je suis tourmentée et je ne sais comment m’y prendre pour la faire se soigner sans l’inquiéter elle-même. Mon Victor adoré, soigne-toi bien et aime moi. Ta santé et ton amour sont mes deux existences, physique et morale.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 157
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette