Paris, 22 avril 1882, samedi matin, 7 h.
Tu ne m’as pas sentiea tout à l’heure, mon cher bien-aimé, quand je t’ai embrassé sur l’épaule car tu dormais profondément. Bénis soientb ton sommeil et ton rêve, mon grand adoré, ainsi que ton réveil, dont j’attends le sourire et la douce parolec qui font le bonheur de ma vie. Nouvelle lettre de la maison Hetzel [1] et nouveau bon à tirer pour trois mille exemplaires du tome premier de Philosophie édition définitive ne varietur de tes œuvres complètes. Avec prière de retourner ce bon tout de suite. Cela me fait venir l’eau à la bouche de penser que d’ici à un mois tu donneras à ton formidable Torquemada la clef des bois, la clef des champs, la clef universelle des esprits, des cœurs et des âmes. J’entends déjà venir le brouhaha des admirations comme une marée montante emplissant tout l’immense horizon de ta gloire. « C’est bête comme tout ce que je te dis là » [2] mais je m’en fiche car je n’ai de compte à rendre à personne d’autre qu’à toi de l’ivresse de mon adoration. Pour me dégriser un peu je te fais penser à répondre à Mme Ancelet [3], ta nièce et à Mme Chenay [4]. J’espère que nous allons revoir bientôt tous nos chers touristes [5] nous rapportant leurs impressions de voyage. Quel bonheur de les revoir et quel bonheur de t’adorer pêle-mêle avec eux.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 61
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « senti ».
b) « béni soit ».
c) « paroles ».