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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 1er janvier 1882, dimanche matin

Cher bien-aimé, je te souhaite encore beaucoup d’années avec tout le bonheur que tu désires et que tu mérites. Ces souhaits que je te formule dans cette lettre ce matin sont au fond de mon cœur en permanence comme ma vie même et ils occupent ma pensée nuit et jour. Depuis longtemps, hélas ! je suis privée de te l’écrire au jour le jour, comme autrefois, mais dès que les jours seronta plus longs et mes occupations moins multiples je reprendrai ma chère petite restitus avec acharnement [1]. En attendant je te redis ce que tu sais par cœur, si tu m’aimes comme je t’aime, c’est que je t’adore et que je prie Dieu tous les jours de me permettre de vivre à tes côtés jusqu’à mon dernier souffle et à mon âme d’être réunie à la tienne dans l’éternité. Ce vœu, cette prière ardente, je les fais depuis le premier jour où je t’ai appartenu. Aussi j’espère qu’il m’exaucera.
Je viens de voir partir les enfants et leur mère à leur visite pieuse au tombeau de leur père [2]. J’aurais désiré pouvoir les accompagner autrement qu’en pensée. Ce regret, je le ressens de même pour ma pauvre Claire [3] mais j’espère que les âmes du ciel lisent couramment dans les âmes de la terre et je suis sûre qu’en ce moment toutes celles à qui je pense me pardonnent et me sourient.
L’année s’est faite toute bonne et charmante ce matin. Espérons qu’elle continuera de belle humeur depuis un bout à l’autre de sa vie d’année. J’ai envoyé ce matin au petit enfant du marchand de vin le joujou et la boîte de bonbons de ta part, ce qui a fort surpris et fort ravi le père qui t’en ab fait remercier avec des larmes dans les yeux. À mon tour, mon bien-aimé, je réclame ma chère petitec lettre annuelle [4], étrenne suprême de mon cœur. Je vais aller te porter tout de suite ma supplique pour que tu y fassesd droit avec force baisers et avec toutes les douceurs dont je suis capable.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16403, f. 1-2
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « serons ».
b) « as ».
c) « petit ».
d) « fasse ».

Notes

[1Les mois de novembre et décembre 1881 sont en effet fort creux. Elle reprendra son habitude quotidienne le 17 février suivant.

[2Georges et Jeanne, enfants de Charles Hugo et d’Alice Lehaene, petits-enfants de Victor Hugo. Charles Hugo, mort à Bordeaux le 13 mars 1871, est inhumé à Paris au cimetière du Père-Lachaise. Sa veuve, Alice, s’est remariée avec Édouard Lockroy.

[3Claire Pradier, fille de Juliette et du sculpteur James Pradier, morte à vingt ans le 21 juin 1846 est inhumée au cimetière de Saint-Mandé. L’autre « âme du ciel » est Léopoldine, morte le 4 septembre 1843.

[4Hugo lui écrit, le 1er janvier 1882 : « Je t’offre cette date. Elle signifie pour moi quatre-vingts ans. Elle signifie pour nous deux ce qu’il y a de plus doux et de plus charmant au monde : un long amour. Gardons-le précieusement, ne songeons plus qu’à lui, et au ciel. Le ciel, c’est tout ce que nous aimons, y compris mes enfants bien chers, les deux petits anges auxquels je laisserai cette rude vie. O ma bien-aimée, mêlons-nous dans une étreinte suprême, et mettons-les sous notre ombre. Dieu est avec nous. Je te tiens étroitement embrassée. » (Jean Gaudon, édition citée, p. 325.)

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