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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 novembre [1844], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto ; bonjour mon cher petit homme bonjour. Tu n’as pas eu de démêlé avec la patrouille cette nuit ? Pauvre amour tu étais bien chargé et pourtant j’aurai l’affreux courage, pour peu que tu t’y prêtes complaisamment de te charger encore la nuit prochaine autant que celle-ci. Je suis si encombrée que je ne sais même plus où te serrer une paire de souliers. Tout cela n’est pas autrement dramatique mais c’est fort gênant pour moi et fort assommant pour toi.
J’ai eu hier, je ne dirai pas une fausse joie, car je ne sais comment qualifier ce genre d’émotion qui consiste à se résigner à perdre pendant 20 heures LA CHANCE de voir celui qu’on aime dans l’espoir de gagner une matinée de bonheur. Mais enfin je te croyais à la campagne et je faisais de mon mieux pour tâcher de trouver le temps moins long en pensant à la joie qui devait résulter de tout cet ennui. Je ne me plains pas de m’être trompée, bien au contraire, je suis de l’avis que le plus petit tien vaut mieux que les plus gros des tu auras. Je trouve avec raison que tu t’es en allé beaucoup trop tôt, beaucoup plus tôt qu’à l’ordinaire. Je sais bien que tu travailles, je le crois puisque tu me le dis et que je le vois mais tu devrais toujours me donner un peu plus de temps tous les soirs. Si je suis une vieille rabâcheuse ce n’est pas ma faute ne vous en prenez qu’à vous et baisez-moi bien vite et bien fort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 95-96
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


26 novembre [1844], mardi soir, 11 h. ¼

Je viens seulement de finir à l’instant mes affreux comptes, mon cher amour, Dieu soit loué les voilà mis au net. Ce n’est pas sans peine et sans pâtés, enfin c’est fini !
Toi pendant tout ce temps qu’es-tu devenu ? J’aurais presqu’envie de te supposer chez M. Molé mais comme je suis sujette à me tromper j’aime mieux ne rien supposer du touta et t’attendre avec toute l’impatience dont je suis susceptible. Tout ce que je me permets de remarquer, c’est que vous étiez dans un profond négligé ce matin  : l’art n’est pas fait pour toi tu n’en as pas besoin [1]. Ce qui me confirmerait assez dans la pensée que vous vous ménagiez pour vous faire foudroyant tantôt. Cependant, à la campagne c’est presque comme dans une ISLE, c’est sans cérémonie. Il paraît que vous ne vous rangez pas de l’avis de Richi, vous n’êtes qu’un aristocrate et qu’un freluquet, voilà tout ce que vous êtes.
Oh ! Mais je m’aperçois que j’ai laissé éteindre mon feu et que je suis raide de froid. C’est peu récréatif par la température qu’ilb fait. Je vais me dédommager tout à l’heure. Pourvu que vous veniez, mon amour, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas de confiance dans votre promesse. Vous m’avez leurrée si souvent que je n’ose plus rien croire. Ça serait vraiment très mal à toi si tu ne venais pas cette nuit mon Toto ; il n’y a pas de travail ni de dîner à la campagne qui excuserait cela. Mon cher amour je ne veux pas t’accuser injustement. Tu vas venir n’est-ce pas et nous serons bien heureux toute une bonne petite matinée ? Je le crois, j’en suis sûre. Je suis heureuse, je t’aime et je t’adore de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 97-98
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « tous ».
b) « qui ».

Notes

[1Citation de Zaïre, tragédie de Voltaire (Acte IV, Scène 3) : « Serait-ce un artifice ? épargne-toi ce soin ; / L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin ».

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